2003 Argentine
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  ARGENTINE 

( attention, ouvrir les cartes présentées peut prendre du temps pour une connexion par simple modem )

« Mais bon sang ! Pourquoi croyez-vous que

le grand là-haut a décidé de la faire ronde la terre ?

Pour qu'on en fasse le tour. Si elle était plate au bout, on tomberait ».

                ( Anonyme de l'Outre‑Forêts )

Tout voyageur est d'abord un rêveur. A partir d'un nom, d'une image, d'une lecture, il imagine une ville, un pays et n'a plus de cesse qu'il n'ait vérifié, sur place, si la réalité correspond à son rêve.

Des trépidations de Buenos Aires aux fabuleuses glaces d'Ushuaia ou aux méditations horizontales de la pampa à cheval avec les gauchos l'Argentine est implantée dans la géographie sentimentale du découvreur. Cette Argentine est née d'un mythe superbe celui d'un eldorado regorgeant de joyaux fabuleux. Le nom même d'Argentine en conserve , vivante , la trace. Rio de la Plata, pays du « fleuve d'argent ». Levain puissant, le mirage a fait tourner aussi bien la tête des premiers conquistadores que celle de diverses générations d'immigrants qui se succédèrent.

Alors pourquoi pas les nôtres ?

 

J1              STRASBOURG ‑ PARIS ‑ BUENOS AIRES               5/11/03

 

« Le vent du sud affole toujours ma boussole

Ma terre est sud

Mon sud est bleu je ne risque pas de le perdre »

 

Tous les chemins mènent à Rome voire à « Charles de Gaulle » à condition qu'une certaine catégorie de personnel ne fasse pas grève). C'est en ordre dispersé que nous nous y retrouvons et que le groupe se constitue. Groupe fortement hétérogène puisque réunissant des gens d'horizons aussi divers que la Haute vallée de la Sauer, la communauté urbaine de Strasbourg, Mulhouse, la Région parisienne, le sud de la France, l' Outre‑Forêts et même le ... Val de Villé. On peut légitimement se demander ce qui peut réunir des gens de cultures aussi différentes.

Est‑ce le foot ou le tango ? Ce double catharsis argentin, l'un libérant les violences rentrées (s'adressant donc aux gens des banlieues et des vallées reculées), l'autre un éternel vague à l'âme. A moins que nous soyons tous comme les argentins c'est à dire des nostalgiques nietzschéens sans avoir jamais lu Nietzsche. Enfin bref, nous sommes 34 à monter à bord du vol régulier Paris - Buenos Aires des Aerolineas Argentinas. Et là commence enfin le voyage en cet instant délicieux où l'on s'abandonne à un avenir incertain mais riche en nouveautés.

« Raconter tout haut la véritable histoire porte malheur » disait Gabriel Garcia Marquez aussi vous comprendrez aisément les quelques digressions, billevesées, calambours et autres coquecigrues dans le récit qui va suivre.

Première escale : Madrid. Déjà le premier incident. Louisa déleste un pauvre petit couple de vieillards de leur modeste bagage à mains lors du contrôle de police. Mais que fait cette dernière ? Tout cela pour deux mandarines, une paire de lunettes modèle sécu et un gilet 100% polyester. Heureusement tout rentre dans l'ordre avant le réembarquement pour la capitale argentine. ( 12 heures de vol : 10.069km )

Nuit à bord

 

J2                       BUENOS AIRES      [ 34:20:00S 58:30:00W ]              6/11/03

 

« Pour moi la naissance de Buenos Aires

n'est pas qu'un conte : je la considère aussi

éternelle que l'air ou l'eau. »

                (J.L. BORGES )

Nous voici donc à Buenos Aires, cette européenne nostalgique aux portes de la pampa, née d'une alchimie audacieuse et puissante. Au fond de l'estuaire du Rio de la Plata, elle tourne le dos au continent sud-américain et se prend pour une autre : Paris, Barcelone ou Milan. L'Europe jusqu'à la confusion. Europe imaginaire, Europe en trompe‑l'oeil...

Buenos Aires ! Son nom claque comme le couvercle d'une boite à fantasmes ouvert sur un puissant appel d'air, charriant les apostrophes des quais, les ronflements des moteurs , les mélopées poignantes d'amours trahies et de départs sans retours et, déjà, le vent brasseur d'âmes qui remonte de l'horizontalité infinie de la pampa, « Et j'ai ressenti Buenos Aires cette ville que j'ai crue mon passé, elle est mon avenir, elle est mon présent. » (J.L. Borges)

Arrivée matinale à Buenos-Aires sous un ciel bleu radieux comme le sourire de notre guide TAMARA. Sourire qui rallume immédiatement l'oeil éteint et torve de notre camarade Yves ce qui a pour conséquence immédiate de déclencher une migraine carabinée chez Isabelle. Il y a encore des mystères dans la physiopathologie de certaines affections. 

Nous voici donc dans cet ancien comptoir espagnol des confins de la pampa, reine de la Plata et Paris de la Belle Epoque de l'hémisphère sud.

Tamara nous emmène pour nous dévoiler les charmes de cette ville immense et plate qui ne compte pas moins de 50 « barios » (quartiers) qui sont autant de visages. Si pour reprendre les mots de BORGES, « quatre infinis traversant chaque carrefour », cette diversité sauve de la monotonie le gigantesque damier qu'est Buenos Aires.

                                     « Parcourir Buenos Aires n'est pas marcher,

                                     c'est jouer aux dames avec ses pieds »

                                       Albert LONDRES

Les années tumultueuses de la fondation de la ville ont légué une imagerie riche en généraux d'opérettes, en dictateurs, en aventuriers, en pasionarias romantiques et en « pronunciamientos » ( coups d'état ) presque aussi nombreux que les crises économiques, dont seules se nourrissent les rues et les innombrables statues qui ornent la moindre place , égarée dans ces rues haussmanniennes, elles-mêmes égarées dans l'hémisphère sud.

Nous commençons notre visite par EL CENTRO. D'emblée une sensation de grandeur fanée qui fait de cette ville un lieu fascinant plus pour son atmosphère que pour ses monuments. El Centro est le coeur battant de la cité. Il est quadrillé de larges avenues bordées de jacaranda en fleurs et d'immeubles que jamais personne n'a eu le courage de restaurer ou démolir. Il y flotte une ambiance et un air particulier. « ... c'est cet air qui a captivé les Espagnols et je suis de plus en plus convaincu que ce sont eux qui l'ont baptisée la ville des bons airs, parce qu'ils ont été séduits par son parfum et son illusion » (J‑L BORGES)

Premier arrêt : PLAZA DE MAYO ‑ la place de mai ‑. Cette place est une synthèse de l'Argentine et de ses contradictions, une scène gigantesque où s'est joué le destin du pays. C'est là que devant une marée humaine que Marie Eva Duarte a tenu son meilleur rôle. Actrice, maîtresse, épouse du colonel Juan Dominigo Peron porté au pouvoir en 1946 grâce à cette femme qui a su transformer ce nième coup d'état sud‑américain en un véritable mouvement politique.

Les monuments de la place sont autant d'étapes d'une histoire certes mouvementée mais pas moins généreuse pour autant. La domination espagnole, le péronisme, la dictature militaire et les larmes des mères des « desaparecies ». C'est un vaste quadrilatère au centre duquel s'élève un monument improprement appelé pyramide. Des parterres fleuris, d'élégantes rangées de palmiers et d'imposantes façades coloniales ornent ce véritable forum. Sur la pelouse des étudiants, des cadres et des gens ordinaires profitent du soleil printanier. Buenos Aires s'ébroue avec gourmandise,

Près des colonnes sévères de la cathédrale néo‑gothique une flamme salue la mémoire du général SAN MARTIN, inévitable héros de l'indépendance du pays du Rio de la Plata. A l'autre extrémité de la place, la CASA ROSADA (la maison rose), où officie le président de la république, a des allures de château de sucre. La garde est assurée par un régiment de grenadiers, unité d'élite crée sur l'ordre du général San Martin. Uniformes bleus et rouges, les mêmes depuis la guerre de l'indépendance.

Plus loin encore la façade richement ornée du cosejo municipal (conseil municipal). Puis tout autour la city avec ses immeubles gris, ses enseignes démodées de banques et de compagnies d'assurance évoque le culte voué ici à l'argent, La foule glisse le long des trottoirs insensible aux files de taxis jaunes et noirs en maraude, sourde aux hurlements des « collectivos », bus bariolés montés sur des châssis de Mercedes d'un autre âge qui à eux seuls marquent le temps de la capitale.

Débusquer ici même, en plein coeur, un visage clair et lisible de Buenos Aires ? Impossible! Ou au contraire trop simple. La place de Mayo est un parfait trompe‑l'oeil où tout jusqu'au détail renvoie à l'Europe, une Europe sépia, enfermée dans le souvenir, en fait une Europe reconstituée, imaginaire : un peu de Milan, un zeste de Londres, une pincé de Madrid ou de Barcelone. C'est la Babylone du continent latino‑américain, la source de ses ambiguïtés et de son charme étrange.

L'AVENIDA DE MAYO avec ses édifices art‑déco est espagnole même si ses immeubles par leur architecture rappellent ceux du boulevard Haussmann. C'est ici que passent les cortèges officiels accompagnant les hautes personnalités, princes étrangers, cardinaux... Les défilés carnavalesques (rien à voir avec ce qui précède) passent aussi par là. Cette voie a été tracée au 19ème siècle pour permettre au centre de s'ouvrir et de se démultiplier. C'est là que se sont concentrés les racines espagnoles : le paso doble, le flamenco, les zarzueles, le théâtre classique

de l'âge d'or et celui d'avant‑garde, Dès son ouverture l'Avenida de Mayo eut des hôtels chics et des pensions avec des locataires fidèles comme Madrid. Mais surtout des cafés et des terrasses. Comme « l'Espagnol » et « l'Iberia ». Le premier abritait les monarchistes et le second les républicains ce qui permettait en restant assis de refaire la guerre d'Espagne à des milliers de kilomètres de la péninsule ibérique, par invectives d'un trottoir à l'autre.

Le plus cosmopolite de ces cafés est le CAFE TORTONI. Salles à colonnades, verrières, oeils de boeuf peint au pochoir, tapisserie de cuir rouge, miroirs romantiques, billards et tableaux donnent un chic italien qu'aucun autre café ne possède. Quelques salons familiers pour des clients familiers. Aux murs l'iconographie et de son temps. Dans cette noble ébénisterie parfumée d'excellents cafés, chocolats, glaces, pâtisseries et alcools l'Histoire semble s'être arrêtée. Il a attiré les personnalités les plus célèbres comme Quiquela Martin, le peintre de ola Boca, Pablo Néruda, Manuel de Falla, Arthur Rubinstein, Luigi Pirandello, Joséphine Baker ... et nous bien sûr. Avis aux amateurs de chocolats : ici ils sont quasiment sublimes !

Carlos Gardel, dont le buste figure en bonne place y imposa le tango. C'est sur le «Steinway» du Tortoni que Satie joua la première fois à Buenos Aires. C'était aussi le «stammdisch» de Frederico Garcia Lorca. 

Petit tour par 9 DE JULIO. Inutile de préciser qu'il s'agit là de l'avenue la plus large du monde, 140m, 12 voies plus les contre‑allées, personne ne songerait à le contredire, Avenue presque irréelle avec de très beaux arbres : goumiers, araucarias, fromagers, jacarandas qui fleurissent à tour de rôle. Au‑dessus des arbres en fleurs sur les façades et les toits d'immeubles disparates, des panneaux publicitaires géants. Par contre au carrefour de l'avenue avec Corrientes se dresse l'obélisque qui ne fleurit jamais. Les Argentins l'ont mis là en 1936 pour célébrer le 4ème centenaire de la fondation de la ville. Mais la vraie raison est différente. L'imaginaire de la ville ne savait où se raccrocher. Et il fallait bien remplir cet espace. Quelqu'un a dit (nous ne le dénoncerons pas) que c'était là le symbole phallique du machisme porto nègre.

Un coup d'oeil à l'avenue CORRIENTES, avenue typiquement porto nègre, qui apparaît comme une scénographie vieillie et chaotique comme si les magasins et les immeubles se battaient pour atteindre un désaccord esthétique.

Nous traversons ensuite PALERMO CHICO, l'un des plus ancien site de la ville. Il existait déjà au 16ème siècle. Il semble qu'à cet endroit Domenico, un vacher de Palerme, s'installa et construisit un enclos pour parquer le bétail. Palermo a été aménagé à la Belle Epoque à la manière d'un bois parisien. C'est le Palermo des jardins ombragés, des citernes, des treilles, des lacs artificiels et des rues où traîner l'ennui. Un havre de paix. Dans les allées au pied d'un patio andalou on se dirait dans un roman de Patrick Modiano. 

Enfin LA BOCA, la bouche en espagnol, cette porte mythique de Buenos Aires. Tout ce qui n'est jamais entré dans le pays est sensé être passé par là: les hommes comme les rêves, marchands, aventuriers, repris de justice, immigrants tous lancés à la conquête de l'ouest version sud. 

Séquence nostalgie de bout du monde avec le vieux port où rouillent d'antiques cargos aux coques souillées. Nostalgie aussi car c'est au bord du RIO CHUELO, ce modeste affluent du RIO DE LA PLATA, qu'est né le tango. C'est surtout l'odeur âcre qui frappe celui qui pénètre dans ce quartier particulier, le seul à avoir une physionomie propre qui échappe aux projets normalisateurs du damier. Mais la lourdeur de l'atmosphère qui plane n'arrive pas à dissiper le charme inexplicable mais réel du quartier.

La bouche du Rio Chuelo eût son peintre ; QUINQUELO MARTIN, Adopté par une famille de charbonniers il avait grandi dans la boutique où l'excès de noir a dû lui donner probablement ce goût de la couleur. Quinquelo peignit les activités des docks comme les surréalistes mexicains avaient évoque les Indiens et les gens du peuple ou encore Fernand Léger les ouvriers français. Il avait intercepté le mouvement, la laideur, la dureté du capitalisme incarné par le pont de fer emblématique du quartier, les reflets des eaux mortes du Rio Chuelo. Ses toiles donnèrent à la pauvreté ouvrière une profondeur métaphysique. A grands coups de pinceau et de tons qui vont du gris sombre aux roses Quinquelo a transformé La Boca en une métropolis australe digne de Fritz Lang avec ses cheminées qui crachent une fumée noirâtre, avec ses dockers pliés sous les fardeaux qui leur cachent les visages, des robots anonymes qui n'en finissent pas de charger et de décharger, en file indienne. Le spectre chromatique des nappes de mazout dans le fleuve est, grâce à une étonnante palette, porteuse d'une étrange beauté. Je pense qu'une telle description devrait même faire pleurer le patron du MEDEF.

La Boca s'est scindée peu à peu en deux ces dernières années. D'un côté la rue CAMINITO, ancienne voie de garage, devenue un véritable musée de plein air où chaque jour des artistes viennent exposer leurs toiles. Les maisons sur pilotis construites en tôles de zinc et ripolinées avec des restes de peinture sont une véritable explosion de couleurs. De l'autre côté, la majeure partie du quartier, qui est redevenu avec la crise ce qu'elle avait longtemps été: un lieu populaire et mal famé, De vieilles américaines garée sur les trottoirs défoncés et des fresques décrépies vantant l'ouvrier et les plaisirs interdits des lupanars disparus dégagent un certain charme.

Des gamins aux baskets usées se disputent un ballon, le fûtbol, et plus particulièrement l'équipe adulée ‑ le Boca junior ‑ semble représenter la seule raison de vivre des habitants. Etonnant ce stade immense qui trône au milieu de nulle part.

Nous arrêtons à PUERTO MADERO, bel exemple de restauration réussie d'anciens docks en briques rouges du plus bel effet. Déjeuner à l' ESTILO CAMPO. Premier repas argentin soit de la viande accompagnée de saucisses et d'abats. Végétariens s'abstenir.

Après cette séance de cannibalisme notre « city tour » se poursuit à la RECOLATA, quartier qui doit sa célébrité à sa vie nocturne, son cimetière et à ses hôtels de ... passe. Première séance de shopping près du cimetière . Ah, ces marchands du temple ! Michou fait l'emplette d'un magnifique petit sac d'un bleu pastel qui met son teint en valeur. Ravissant et délicieux à la fois.

A la Recoleta la mort parait moins épouvantable qu'ailleurs; sans doute parce qu'on la voit beaucoup plus, qu'elle y est mise en scène. C'est une ville dans la ville avec ses ruelles, ses rues et ses avenues. Une ville qui se visite et dont une bonne soixantaine de caveaux sont classés monument historique. C'est dire la débauche d'invention et d'orgueil, la course au sublime et la revanche de ces exilés du bout du monde qui rêvaient de la lointaine Europe. Corps de pierre, dômes athéniens, clochetons en stuc, garde militaire en armes et en bronze, bambins de plâtre et pleureuses aux yeux creux étendues sur des feuillages en fer forgé, c'est à chaque tournant l'excès dithyrambique de ces figures amères. Le cimetière a un coeur noir, baroque et prétentieux. Il est aussi étrange que fascinant. Magnétique.

Certaines tombes sont étonnantes, Celle de Luis Angelfirpo par exemple, sculpté grandeur nature en tenue de boxeur, avec les bottes lacées. D'autres plus austères sont de véritables coffre‑forts suisse de marbre, cubes de matières brutes où une croix fait office de porte, où votre propre image se reflète et se multiplie. 

Il y a même des pyramides, des parallélépipèdes énigmatiques entre deux palmiers vivants, des colonnes façon Trafalgar square, des minis châteaux bavarois ou minis temples d'Angkor envahis de lierre et de ronces comme la tombe de Sancho Sorenato. Toutes sont ornées d'une débauche de bas‑reliefs en bronze avec en vrac des batailles navales, des volées d'angelots tristes, une ménagerie de lions assoupis... Ici un archange vous tient la porte. Là une dizaine de pleureuses dévorées de noires songeries ceinturent les flancs d'un caveau. 

Mais comme tous les visiteurs de cette nécropole nous sommes venus pour Evita. La tombe d' EVA DUARTE DE PERON, ce qu'il reste d'un cadavre tant de fois embaumé, torturé et brisé par des militaires anti-péronistes et nécrophile. Quelques fleurs couvrent de compassion la géométrie de la pierre glacée.

Dîner au restaurant POSADA Nuit: Hôtel LAFAYETTE

 

J3      BUENOS AIRES ‑ TRELEW [ 43:15:00S 65:17:60W ]‑ PUERTO MADRYN    07/11/03

 

4h3O la nuit règne encore sur Buenos Aires, cette ville insomniaque. La douceur de cette fin de nuit est propice aux rencontres et aux aventures d'un soir.

« Hola guapas ! Estais solo ? »

( Salut beautés ! Etes vous seules ? )

Et c'est là que le réveil a sonné. Debout tout le monde l'avion nous attend, Tamara (à l'instar de Félicie) aussi. Seuls quelques mélomanes avertis du fond du bus comprendront ce trait d'esprit fort matinal. 

Nous décollons pour TRELEW ( prononcez tréléou ) où nous attend Sandra notre nouvelle guide. TRELEW, charmant village de briques rouges niché dans dans la vallée du Chubut a été crée par un irréductible gallois du nom de Lewis qui pensait y fonder un nouveau Pays de Galles indépendant du joug anglais. Son rêve a fondu avec la naissance de l'état argentin. 

De là nous prenons la route vers PUNTA TOMBO, la fameuse réserve de manchots qu'il ne faut pas confondre avec des pingouins. En fait les manchots du coin qui n'en sont pas, sont en fait des pingouins de Magellan. Est‑clair pour tout le monde ? Nous avons 120 km de piste à faire pour arriver jusqu'à ces charmantes bestioles, le temps de comprendre ces subtilités biologiques.

Nous traversons un paysage monotone et interminable. Comme le dit fort justement Sandra : « Tu regardes à droite, tu regardes à gauche, et c'est pareil toute la journée. En fait cette terre immense, sauvage et rude qui compte un habitant et trois moutons au Km2 est en tout point grandiose. Même dans ses vides. ici se rejoignent le tout et le rien et la dimension devient mythique et mystique. « Qu'est l'homme dans le monde ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout » comme dirait Blaise (Blaise Pascal : Les Pensées) 

Ici les minéraux et les végétaux subissent les affres des intempéries continues... Le ciel chargé de nuages gros, avance en une masse sombre sous les coups de boutoir du vent patagon. A l'instar de jean Raspail nous aussi pouvons dire : « Moi qui suis allé là‑bas en Patagonie, là où cette terre s'en va finir en immensité désolée dans un fracas étourdissant des vents, c'est l'imagination qui galope toujours la première... » . On comprend mieux l'autre Blaise (Cendrars) quand il soupire : « Il n'y a que la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse. » 

Terre fauve ou noire dépourvue d'arbres, quelques flaques d'eau hérissées par le vent, quelques pointillés de graminées carmin. Et au‑dessus des bancs de nuages éblouissant, des bouillons de lumière bleus. Tous les quelques km un rang de barbelés ronge l'espace, dans lequel parfois est pris le cadavre d'une bernache, yeux pétrifiés, ailes froissées.

Des guanacos (cousins des lamas et des vigognes), des nandous (ces autruches locales ), des maras ( croisement incertain entre un kangourou et un lièvre ) et des moutons au poil grumeleux comme du lait caillé fuient au passage de notre véhicule qui laisse derrière lui des tourbillons de poussière que le vent tasse furieusement comme la fumée d'un train.

De temps à autre nous passons près d'une estancia où vaquent quelques gauchos, ces êtres mythiques mi‑homme, mi‑cheval.

Enfin la réserve de PUNTA TOMBO et ses fameux manchots. C'est Vasco de Gama en 1499 qui en parle le premier comme « d'un oiseau aussi grand qu'un canard mais qui ne peut pas voler car il n'a pas de plumes sur les ailes ..., et il brait comme un âne. ». En 1519 Ferdinand de Magellan, en route pour l'Asie par la pointe australe de l'Amérique du sud, fait noter par son chroniqueur Antonio Pigafetta la présence d'un grand nombre d' « oisons » qui ne pouvaient voler et qui vivaient de poissons. Nous savons aujourd'hui qu'il s'agissait de manchots baptisés pingouins de Magellan et qui appartiennent à l'ordre des sphéniscus (pour ceux que cela intéresse). En 1620 l'amiral de Beaulieu considéra que les manchots étaient des « poissons à plumes ».

Ces oiseaux atteignent 70 cm à l'âge adulte et vivent clans des terriers creusés dans les dunes parfois loin de la mer. Ils ont des règles sociales très élaborées comme l'organisation de « tour de garde » , ou de l'apprentissage de la natation et de la pêche aux petits. Cela donne lieu à des palabres qui se font en balançant d'une patte sur l'autre et que l'on ponctue avec des petits battements d'aile outrés. Puis c'est le départ en colonne. Ne poussez pas s'il vous plait ! Leur démarche dandinante et comique dans leur gilet de soirée à queue de pie leur donne un aspect attachant.

Après cet intermède zoologique départ vers PUERTO MADRYN pour un déjeuner tardif à la cantina Marcelino.

En dessert nous voyons les premières otaries ( lions de mer) qui sont aux phoques (éléphants de mer) ce que les pingouins sont aux manchots. Ceci à l'attention de ceux qui n'ont toujours pas compris. Sandra nous précise que les otaries sont des pinnipèdes c'est à dire que leurs membres sont palmés. Ce qui provoque des rires gras chez quelques carabins attardés au fond du bus. 

Puis rapide remontée dans le temps dans au musée paléontologique de TRELEW qui compte une trentaine de squelettes de dinosaures. Il fallait bien nous donner un os à ronger pour boucler cette journée !

Enfin retour à PUERTO MADRYN, petit port assez inactif mais plaisant. Au bord de la mer grise un wharf, où accostent quelques bateaux de pêche, et une stèle incongrue gravée dans une langue qui n'a manifestement rien d'ibérique : « RODD GAM YMWELWYRO GUMRU IONWAR 1973 GOIFO AM, GLANIO, GORFENNAT 28.1865 » 

Ce monument modeste commémore le débarquement au siècle dernier des Gallois qui ont peuplé la vallée du Rio Chubut.

Partant du rivage, l'Avenida des Gales butte contre une colline polie. Fotocolor, Stuttgart, Hôtel Paris, paste fresco verona, zapetaria la Madrilena : nostalgie d'Europe. 

Dîner à L'ESTRELLA

Nuit: Hôtel TOLOSA

 

J4             PENINSULE DE VALDEZ   P.P [  42:34:00S 64:16:60W ]        08/11/03

 

Autour de la piste borde de chardons 360°d'horizon plat, une steppe fauve où courent des autruches (en fait des nandous) et des maras sous un ciel pâle guilloché de cirrus. 

Nous dirigeons vers la capitale de la PENINSULE DE VALDEZ :  PORT PYRAMIDES, nom utopique s'il en est, rappelant que la Patagonie est aussi le lieu d'élection des peuples et des villes de chimères tels ces géants que Magellan décrivit et à l'existence desquels on crût jusqu'au 18ème siècle. 

En fait, Fort Pyramides ne se nomme ainsi qu'en raison des tas de sel qu'on extrayait autrefois dans la dépression de Salinas Grande au centre de la péninsule. Sel qui fait encore le bonheur des moutons et de ceux qui les consomment. 

La piste s'arrête face à une mer bleu encre. Une énorme houle se brise sur une plage de cailloux jonchée d'éléphants de mer : paquets de couenne à comique petite trompe en bigorneau sous laquelle s'agite une petit langue rose. Les mâles sont d'une taille impressionnante ce qui n'est pas sans inquiéter les femmes de notre groupe qui imaginent l'inconfort des femelles lors des accouplements (décidément elles ne pensent qu'à çà !!). Sandra les rassure en leur expliquant que cela se passe à la paresseuse (les spécialistes auront compris) c'est à dire couché sur le flanc. Pour certains scientifiques versés en la matière ce serait les cormorans qui prélèveraient la semence des mâles pour la déposer délicatement bien sûr dans l'endroit adéquat de la femelle. Cette théorie n'a pas encore été encore validée par l'ensemble de la communauté savante. Affaire à suivre ...

Nous nous arrêtons à l'estancia LA ELVIRA pour déguster enfin ces moutons de pré salés que nous avons vus tout le long de la piste. Repas délicieux dans un beau cadre.

 

PUERTO PIRAMIDES est le centre nerveux de la péninsule. La rue principale est encombrée de panneaux publicitaires vantant les mérites de telle ou telle embarcation spécialement aménagée pour l'observation des baleines franches. Peu farouches, elles jouent près des bateaux. Le 20/01/1779 le navigateur espagnol juan de la Piedra mentionne une mer «couverte de voiles blanches qui sont autant de baleines qui soufflent ». Trois siècles plus tard ces voiles blanches se sont clairsemées. Entre 1815 et 1850 les baleiniers français tuèrent à eux seuls 11 000 cétacés. Une tuerie à laquelle la baleine doit son nom. Pragmatiques, les Anglais la surnommaient « right whale », littéralement la baleine bonne à tuer. Lente, facile à approcher, flottant une fois morte, produisant 10 000 litres d'huile, plusieurs tonnes de viande et d'innombrables fanons alors fort recherchés pour la fabrication des parapluies et des corsets, l'espèce était d'une rentabilité exceptionnelle. Désormais protégée l'espèce reconstitue peu à peu ses effectifs.

La baleine franche australe vient mettre bas ici dans le golfe de San José et le golfe de Nuevo. La chance est avec nous car nous en croisons plusieurs avec leurs baleineaux (déjà 3 tonnes sur la balance et 5 m sous la toise contre 35 tonnes et 14 m pour les adultes). Elles développent d'étranges callosités autour des yeux, aux commissures labiales et sur la tête. Ce sont les «barrettes » qui sont autant d'empreintes digitales. 

Un spectacle haut en couleur lorsque pour impressionner ses rivaux ou sa belle, un mâle s'élance hors de l'eau et retombe dans une gerbe d'écume. D'autres préfèrent frapper la surface de la mer avec leur nageoire caudale pendant de longues minutes. Les femelles ne quittent jamais leurs petits et restent en contact physique avec eux en multipliant les caresses et les gestes de tendresse. Emouvant ! Cela restera un grand moment du voyage. 

Autre surprise : ici les bateaux atterrissent tirés hors de l'eau qu'ils sont par des tracteurs. Une première ! 

Retour sur Puerto Madryn où la chasse aux vestes polaires est ouverte. C'est la ruée sauvage dans les boutiques. Maurice (pas celui de Marie‑Brigitte) tente une fugue avec Sandra ce qui permet à Jacqueline d'égaler les records de Ben Johnson au meilleur de sa forme.

Dîner en front de mer à LA CANTINA EL NAUTICO

Le retour à l'hôtel est agrément par une éclipse de lune totale. Magique !

Nuit : Hôtel TOLOSA

 

J5       PUERTO MADRYN ‑ EL CALFATE   [ 50:19:60S 72:17:60W 09/11/03

 

Réveil à 5 heures.

Philippe est hirsute mais content : la France a battu l'Irlande en quart de finale de la coupe du monde de rugby qui n'est pas un sport de cons comme le foot. Qu'on se le dise.

Transfert embrumé vers l'aéroport pour un vol vers EL CALAFATE où le programme nous annonce une journée bucolique.

Nous sommes accueillis à notre descente d'avion par CLAUDIE notre nouvelle guide, bourguignonne bon teint dont le maté ne dois pas être la tasse de thé ! D'emblée elle nous explique tout et même le reste. « On est d'accord ? ». Nous sommes d'accord.

Pour en finir une fois pour toute EL CALAFATE doit son nom à un arbuste, le calafate, berbéris hétérophile à ne pas confondre avec le berbéris broxyfolia. Jean vous expliquera la différence. On est d'accord ? Il s'agit d'un arbuste à feuilles persistantes qui se couvre de fleurs jaunes en été, que suivent bientôt des baies d'un bleu profond, presque violet. D'après la légende celui qui mange ses fruits reviendra à El Calafate. A ma connaissance personne n'y a goûté. Après avoir pris possession de nos chambres et déjeuné à l'Hosteria nous prenons la route en direction du LAGO ROCA. A noter que c'est au cours de ce repas qui était un « déjeuner de midi » aux dires de Bernadette, que Michel a découvert les biscuits roulés aux oeufs durs dont il est maintenant totalement «addict». Cette parenthèse gastronomique fermée reprenons notre trajet romantique ponctué de sommets «z'enneigés» et de prés tachetés de jaune. Car ici nous sommes au pays du pissenlit (taraxacum dens leonis ). Celui‑ci prospère plus que n'importe quelle autre plant. Il aura fallut tant de kilomètres parcourus et tant d'argent dépensé pour découvrir la beauté rustique de cette humble injustement méprisée. 

Notre promenade annoncée comme bucolique se transforme en marche forcée d'une dizaine de kilomètres sous un vent violent en raison de l'échouage de notre bus dans la seule flaque de toute la Patagonie. De promeneurs nous nous sommes transformés en naufragés. Tableau d'une dramaturgie insoutenable à la dimension de la retraite de Russie ou de la prise de Stalingrad. « Pour la première fois l'aigle baissait la tête ... » mais les condors dressèrent la leur. Spectacle d'une intensité poignante que ce groupe disloqué plié en deux sous la tempête patagonne. Heureusement la garde du parc veille et nous envoie un prompt secours qui ramasse les premières victimes. Pendant ce temps Gégé resté près de l'épave creuse un canal pour endiguer la fuite de fuel du bus. Ferdinand vicomte de Lesseps continue de faire des émules.

Pour qui à l'oeil et l'oreille aux aguets les buissons et les arbres que nous croisons cachent des oiseaux de toutes sortes. Le plus remarquable est sans conteste l'oiseau-moqueur patagon. On peut faire connaissance du singulier et très joli coupe-plante à poitrine rouge. Un frigilidé lui aussi très présent et surpassant tous les autres en intérêt est représenté par les inévitables dendrolaptidés ou scieurs de bois, ou encore grimpereaux comme on les appelle parfois, au vol malhabile et vêtus d'un plumage brun sable. Je pourrais parler encore de l'upucerthia dumetoria, des glaneurs bruns du genre synallaxis, du cachalote ( homurus gutturalis ) mais je sens bien que je vous ennuie avec tous ces dendrolaptidés. Tant pis pour vous. Vous ne connaîtrez donc jamais l'anumbries acuticaudatus, petit oiseau des ronces qui construit des nids parfaitement sphériques.

Toujours est‑il que nous finissons par arriver au bord du fameux LAGO ROCA. Même le bus repêché par un tracteur finit par y arriver. Le lac est beau !!

Retour sur El Calafate.

Dîner (du soir toujours d'après Bernadette) à El Tablita où le vino tinto nous permet de reprendre des forces et des couleurs. Michou ramène tant bien que mal une Dominique à la démarche chaloupée et à l'oeil pétillant. Quant à la suite cela ne nous regarde pas!!

Nuit: Hôtel KALKEN

 

J6             CLACIER  FERITO MORENO     [ 41:07:00S 71:25:00W ]    10/11/03

 

Autre jour. Autre Guide. C'est Elsa qui officie aujourd'hui. Le ciel est bleu. Dominique de la HVS est encore grise.

Nous partons pour le parc national des glaciers dominé par le mythique massif du FITZ ROY, impressionnante aiguille de granit à la verticalité presque parfaite, et par le CERRE TORE voisin. La route traverse des paysages de lacs, de torrent et de forêts. Les embothrium coccineum, magnifiques buissons à fleurs rouges sont en pleine floraison. De temps à autre on aperçoit la course furtive d'un renard patagon ou le vol majestueux d'un aigle ou d'un condor. Chemin faisant Elsa tente de nous expliquer la formation des glaciers. C'est encore plus confus que la reproduction des éléphants de mer.

Et enfin à la sortie d'un virage, il apparaît, il se dresse comme une haute écluse blanche sur les eaux laiteuse du LAGO ARGENTINO, qu'on appelle «leche glacier » (lait du glacier). Sa couleur peut passer du blanc au bleu d'opaline mais aussi couleur de jade. Il : le PERITO MORENO.

Découvert en 1877 par le fameux Moreno, lointain cousin de Madame Brocoli mère, il n'est qu'une petite partie de la vaste mer de glace intérieure qui couvre les Andes jusqu'au Parc Torres au Chili. 

Long de 35 km et large de 5, il émerge de 70m au‑dessus des eaux et serait le seul glacier au monde à continuer de croître.

Un peu plus loin un bateau nous attend pour approcher ce fleuve solide et bleu devant lequel on se sent tout petit. Le spectacle est sublime lorsque les rayons du soleil éclairent cette glace d'un bleu translucide. Chacune de ces petites montagnes de glace qui le composent met un millénaire pour parcourir la pente avant de se détacher à l'arrivée. Cette glace c'est du temps pétrifié égrené par les écroulements successifs. Quelle est la durée d'une vie humaine ?? Cent mètres de glacier. Cette grande masse de glace vivante tombe, crie, souffre, meurt et renaît chaque jour. Dans cet infernal vacarme on entend des coups de fouet, de fusil, de canon puis des roulements de tambour, impression de gare de triage. Un prodigieux concert semble sortir de l'intérieur du glacier. Puis un craquement se fait sursauter le spectateur. Un iceberg est en préparation. Les eaux vertes émeraude du lac Argentino sont encombrées d'icebergs aux formes tourmentées. Les berges sont couvertes d'une épaisse forêt qui par endroit semble pousser au milieu des glaces. Le silence est absolu, quelque fois oppressant tout comme cette impression, omniprésente d'une nature souveraine, majestueuse et invincible qui montre ici, plus que partout ailleurs son incroyable beauté.

Mais l'homme a aussi besoin de nourritures terrestres que nous prenons dans un restaurant du parc. Le temps de trouver cet établissement les cacahuètes et leur accompagnement ont beaucoup circulé. Or tout le monde connaît les effets conjugués du whisky et du trou dans la couche d'ozone. La synergie de ces deux phénomènes à entraîné Gérard dans un délire verbal où il est question d'eau ferrugineuse.

La promenade digestive sur les terrasses autour du glacier est la bien venue et permet à certains d'élimer les cacahuètes avant de retourner à El Calafate. 

Petit passage à l'hôtel, changement de bus, premier drame, la bouteille du divin breuvage pur malt de Philippe a disparu. Avec l'élimination de la France de la coupe du monde de rugby c'est ce qui peut lui arriver de pire (ne pleures pas Chantal il t'aime aussi). Nous n'osons croire que les chauffeurs boivent, il nous donc croire à des phénomènes d'évaporation propres à l'antarctique.

Nous rendons malgré tout à l'estancia ALICE pour nous faire une idée du mode de fonctionnement d'une ferme argentine. Nous y sommes accueillis par un café-kuchen et des gauchos avec des bérets basques vissés sur la tête et des yeux de braise. Bernadette et Chantal (née Biafine ) sont proches de l'apoplexie et nous avons du mal à les gérer. Bernadette va même jusqu'à sucer la bombilla d'un de ces bellâtres. Pour éviter tout dérapage sachez que la bombilla est la pipette avec laquelle le gaucho sirote son maté. En effet le maté est la boisson des gauchos et l'autre symbole de l'Argentine. On lui prête beaucoup de vertus et il sert même de langage. Ainsi un maté froid est signe d'indifférence, très chaud amour ardent, très sucré le mariage, à la cannelle je pense à toi, à l'orange je t'attends. A l'heure où nous mettons sous presse nous ne connaissons toujours pas la température et le goût du maté de Bernadette. Ah les gauchos !!

« Ils apprirent le chemin des étoiles, les coutumes de l'air et de l'oiseau,

la prophétie des nuages et de la lune cachée. Ils paissaient le bétail sauvage,

fermes sur leur cheval du désert qu'ils avaient

dompté ce matin là. Ils furent lanceurs de lasso, convoyeurs,

marqueurs de bétail, homme du détachement policier,

quelques fois brigands... »

J.L.BORGES

 

Les gauchos ( « sans père » en quechua ) sont les fils de l'horizon et l'immensité est leur jardin. Ni le vent, ni la solitude ne parviennent à les abattre.  Jusqu'à l'introduction du fil de fer barbelé par le consul de Prusse franz Halbach aucune clôture ne limitait l'errance de ces cavaliers infatigables dont la légende voulait qu'ils ne posent jamais le pied au sol. Ils nous font découvrir le travail du chien de berger et la technique de la tonte des moutons. Puis en option promenade à cheval ou promenade bucolique sur les terres de l'estancia où se trouve une réserve d'oiseaux : oie de Magellan, ibis , canards ...

Dîner sur place agrémenté par des chanteurs et des danseurs forcément typiques. 

Nuit: Hôtel KAIKEN (oie sauvage en quechua)

 

J7                   EL CALAFATE ‑ LAGO ROCA ‑ USHUAIA  11/11/03

 

Matinée débandade.

Chacun pour soi.

Grasse matinée, shopping, équitation, city~tour selon les humeurs ou les goûts de chacun

Déjeuner à l'hôtel. Elsa ne maîtrise plus la situation qui devient confuse. Un dernier café en ville, juste le temps pour Philippe de se faire mouiller la veste par un chien indélicat et prostatique de surcroît. Nous compatissons tous bien évidemment.

Encore un petit couac à l'aéroport où les taxes du même nom ne sont pas réglées. Une rapide quête permet d'arranger les choses et de décoller en direction du «culo del mondo» : USHUAIA. Là nous attend Gabriela notre nouvelle guide. C'est fou ce que nous sommes volages cette année. A peine le temps de s'attacher ... Elle nous annonce la couleur d'entrée : en Argentine on ne fait qu'un bisou, mais le choix du côté n'est pas imposé.

Dîner et nuit : Hôtel Cap COLONIA

 

J8                       USHUAIA  [ 54:47:60S 68:17:60W ]                        12/11/03

 

Il fait beau ce matin. Le ciel est avec nous. Nous comprenons enfin ce qui se cache derrière le terme petit déjeuner argentin qu'on nous annonce tous les jours depuis notre arrivée. Il s'agit en fait d'un petit déjeuner continental où les croissants sucrés ne sont pas farcis de fromage et de jambon. S'ils le sont vous vous êtes trompés d'heure c'est le goûter!

USHUAIA !!

« Baie tournée vers l'ouest » en langage gamana. On voit ça comme l'ouest américain : cinq ou six cabanes en planches, deux ruelles en terre battue, crevassées par les roues des voitures et une poignée de pionniers forts en gueule. Hélas il faut vite déchanter. On a beau savoir que la terre est ronde mais ici elle semble avoir un bout. C'est une petite ville au bord du canal de Beagle. Une avenue principale d'où partent des rues qui grimpent à l'assaut du glacier et en face brillent les sommets enneigés de l'île Navarino.

Le principal mérite d'Ushuaia, en dehors d'être un port franc où les rares amateurs de whisky peuvent refaire le plein, c'est d'être la ville la plus australe du monde. Des panneaux le proclament : pôle sud 14 000 km, La Quienca (frontière nord de l'Argentine ) 5 100 km. C'est une rare satisfaction que de boire une bière à le cafétéria Anna Karénine à 1000 km du continent antarctique et très loin de Saint Petersbourg.

Nous consacrons la matinée à la visite du Parc National de la TERRE DE FEU. S'il est des noms chargés de mystères et d'aventures, la Terre de feu est de ceux-là. La légende veut que ce soit le grand Magellan lui-même qui ait ainsi nommé ce territoire en 1520 tant les feux des indiens installés ici étaient nombreux. Des indiens il n'y en a plus. Là aussi le théorème suivant a bien fonctionné: - toute minorité ethnique qui refuse de s'adapter est perdue - toute minorité ethnique qui s'adapte est à plus forte raison perdue,  ici le processus a été accéléré par les armes et l'alcool.

TERRE DE FEU : un bout du contient à la dérive. Curieux bout du monde accroché au continent tel un pendentif.

TIERRA DEL FUEGO : le nom évoque déjà l'aventure, terrain de jeu de tous les nostalgiques de jack London. Des kilomètres de monts inhospitaliers, d'anses sombres et désolées, de paysages tristes et venteux.

Le Parc de la Terre de feu héberge des castors qui colonisent presque toutes les rivières de l'île avec leurs barrages de taille quelque fois très impressionnante. Nous découvrons la baie de ENSENADA et l'île REDONDA. Ici se trouve le bureau de poste le plus austral du monde. C'est la ruée pour avoir le fameux tampon. Malheureusement Loulou, qui conversait avec un castor probablement, a loupé la levée. Le terme de cette balade se situe au bout de la piste à la baie de LA PATAIA. Terminus. Ici la terre à une fin. Des miradors offrent la possibilité de découvrir un paysage d'une beauté somptueuse.

Retour à Ushuaia pour un déjeuner chez TANTE NINA, l'ancienne voisine des Brocoli.

Après‑midi de navigation à bord d'un catamaran, le MARIANA 1, pour affronter le canal de BEAGLE, où tant de marins audacieux ont péris dans les flots. Ce détroit est un passage obligé pour atteindre le sinistre Cap Horn. Modestement nous nous contentons d'une mini croisière jusqu'au PHARE DES ECLAIREURS (en français dans le texte). Nous naviguons au large de l'ancienne ESTANCIA HABERTON, la plus ancienne construction non indienne de l'île. En ruine elle semble un radeau en proie aux flots du silence. Puis nous croisons au large de deux îlots : l' ISLA DE LOS LOBOS peuplé comme son nom l'indique par une loberia (colonie) de lions de mer (des otaries pour ceux qui n'ont toujours pas compris) et l' ISLA DE LOS PAJAROS qui héberge une quantité d'oiseaux comme des cormorans de Magellan ou des cormorans impériaux....

Retour sur terre ferme sans perte.

Dîner à l'hôtel

Nuit: Hôtel CAP POLONIA

 

J9       USHUAIA ‑ BUENOS AIRES                                 13/11/03

 

Journée remplissage en attendant le vol tardif pour Buenos Aires. Matinée shopping terminée par une visite au musée « DEL FIN DEL MUNDO » de taille et d'intérêt modeste. Quatre ou cinq salles avec quelques reproductions de vieilles photos, des débris de vaisselle, des morceaux d'épaves et quelques volatiles empaillés tout étonnés de se retrouver là. Mais il y a le tampon (encore un ), le fameux tampon pour les cartes postales et le passeport. Dernière chance pour ceux qui ont raté la première levée.

Le sort semble s'abattre sur le groupe aujourd'hui : une deuxième bouteille de pur malt a été frappée par l'évaporation antarctique, Dominique a égaré ses lunettes dernier modèle de la collection CPAM et pour couronner le tout, un virus respiratoire décime la gente féminine. Tout le monde sait que les virus pénètrent dans l'organisme par la bouche, ceci explique cela. Le bus ressemble de plus en plus à un sanatorium de la grande époque bacillaire. Déjeuner à la RUEDA

Reste à meubler l'après‑midi. Deux options : tous au bagne ou nouveau tour au parc naturel dans le train « du bout du monde ». Premiers mouvements de foule, premiers grognements. Dure la démocratie ! Finalement nous retrouvons dans le parc et dans le train pour un parcours de 3,1 km en 45 minutes ce qui laisse le temps d'admirer le paysage .

Retour à Ushuaia.

Encore du temps à tuer : dur, dur. Alors nous allons voir le panorama de la ville du haut puis du bas. Ce qui nous amène à l'heure tant attendue de la collation : biscuit roulé sucré à l'oeuf dur et croissants sucrés fourrés au jambon et au fromage. L'apothéose !!

Adios « el culo del mundo », adios Gabriela. Tamara nous attend à Buenos Aires.

Nuit: Hôtel LAFAYETTE

 

J 10                  BIENOS AIRES     [ 34:20:00S 58:30:00W ]                     14/11/03

 

Grasse matinée

Nous quittons Buenos Aires pour TIGRE, ville résidentielle à 40 km au nord qui a pour particularité d'être située sur le delta du Rio Paranà qui charrie des tonnes de limon qui lui donne sa couleur marron.

Ici chaque maison a son ponton et la circulation se fait en bateau. Sur cette multitude d'îles et d'îlots la végétation est luxuriante et les habitations disparates allant de la villa hollywoodienne à la modeste cabane de planches disjointes.

Retour sur terre ferme au Puerto de frutos, marché local donc typique. On y trouve en vrac des meubles en bambou, toute la bimbeloterie qui fait la grandeur d'une nation touristique et même des ... fruits.

Déjeuner au restaurant VUELTA Y VICTORIA puis retour en ville.

Nous improvisons une visite au TEATRO COLON, un des fleurons de la ville. Nous sommes proprement refoulés car l'entrée se fait sur réservation. Nos grognements et nos mouvements d'humeur ne changeront rien à l'affaire. Il faut se rendre à l'évidence et revenir un autre jour. Nous changeons notre fusil d'épaule et nous rendons au café littéraire LA IMPRENTA. Grandiose. Une librairie nichée dans un théâtre à l'italienne avec des rayonnages dans la salle, dans les loges et les balcons, un bar sur la scène. Et ça et là de confortables fauteuils où les gens s'installent pour lire et partager quelque fois à haute voix leur lecture avec un voisin. Ajoutez à cela un fond musical discret et vous comprendrez qu'il s'agit d'un endroit magique,

A la sortie de ce temple la dure réalité reprend vite le dessus : Betty est délestée de son passeport.

Dîner à l'hôtel

Nuit: Hôtel LAFAYETTE

 

J 11                    BUENOS AIRES  [ 34:20:00S 58:30:00W ]                     15/11/03

  

Avant de faire une promenade à l' ESTANCIA DON SIVANO nous nous arrêtons à la place San Martin pour admirer la statue équestre et altière de surcroît de ce grand héros de la nation argentine. Les magnifiques jacarandas en fleur qui ornent l'endroit nous paraissent nettement plus intéressants.

Cet intermède permet à Betty d'affronter l'administration française (mais oui, cela s'exporte aussi). Elle revient bredouille de son expédition car aucun des fonctionnaires sur place n'arrivait à faire fonctionner la machine à tamponner. Et tout le monde sait que sans tampon officiel ... Ce sera pour demain. C'est grand la France même à l'étranger !!

Nous pouvons donc nous rendre au complet dans une estancia « typiquement authentique ». Le déjeuner est en fait un asado c'est à dire un barbecue argentin. Imaginez un brasier avec autour des boeufs, des agneaux et des poulets fendus en deux écartelés et empalés sur de grandes broches et vous aurez une idée de la finesse de cette cuisine. L'asado est plus qu'un repas, c'est un rite sophistiqué qui vient directement de la volonté du gaucho de survivre en mangeant le plus de viande possible. Le repas se termine en chants et danses ce qui permet au directeur de la chorale de Lobsann et au ramasseur de savonnettes du Val de Villé de donner de la voix et à d'autres à s'initier au tango avec des beautés locales.

Après tout cela la maison propose des promenades en tracteur, en carriole ou à cheval. Puis c'est au tour des gauchos de nous montrer leur adresse à cheval. Maniement des boleadoras, lanières de cuir attachées entre elles et dont les extrémités sont pourvues de petites bourses de cuir renfermant des pierres rondes qu'on lance dans les pattes des animaux à capturer. Puis course à l'anneau. Il s'agit de décrocher un anneau en pleine course avec un petit bâton pointu puis de remettre celui‑ci à une dame ou demoiselle en échange d'un bisou. Nous nageons en plein romantisme médiéval.

Cette sortie se termine avec une loterie dotée de trois prix magnifiques : un poncho en acrylique véritable, un maté en plastique 100% et cerise sur la gâteau un CD de l'animateur. Inutile de dire que c'est la ruée sauvage sur les billets. Bravo à Fatia et à Gégé les heureux lauréats.

Retour à la capitale pour la soirée de gala avec en prélude l'apéro d'intronisation des six petits nouveaux : Louisa, Fatia, Chantal, Benadette, Christiane et Alain qui tous ont brillamment réussi leur entrée dans le groupe. Et c'est toujours avec beaucoup d'émotion que nous remettons un objet certes modeste mais d'un intérêt culturel indéniable et d'un esthétisme rare aux derniers arrivés.

Notre dîner dit d'adieu se passe au QUERANDI, restaurant au décor austère : murs nus blancs et noirs, tables très serrées, foule ... On nous avait annoncé un cadre intime ... Loulou est verte à l'instar des pâtes de Dominique et des poires à la menthe servies dans l'établissement. Enfin un peu de couleur !

Mais dès les premières notes du piano la magie s'opère et toute l'histoire du tango défile devant nos yeux grâce à une mise en scène et en lumière, des costumes soignés, des danseurs époustouflants et des musiciens hors pairs.

Ah le tango ! Cette « pensée triste qui se danse. Sensuel, nourri de la violence et de la misère des faubourgs, le tango reste une danse lointaine et tragique. Bien plus que du folklore, encore plus fort qu'un chant : une religion fluide, désespérée et élégante, qui parle au corps et sait remuer l'âme. Sa musique est assez peu rythmée pour permettre aux tendres, aux essoufflés ( à chacun d'entre nous donc) de faire du sur place alangui jusqu'au moment où une détente de la jambe, un renversement du buste, un plongeon à coeur perdu sur la poitrine de la partenaire, un chaloupé vertigineux révèlent

d'un coup, une science extraordinaire, un art infaillible qui tient de l'acrobatie, de la prestidigitation et de la magie. L'homme garde toujours une attitude la plus macho possible même s'il semble fondre de douceur dans les bras de sa cavalière. Sous l'indolence du « tanguero » veille jalouse la fierté du mâle, car au départ c'est une danse d'hommes née dans les bordels où pour tromper l'attente les immigrés ont créé des corps à corps ambigus à la symbolique explicite accompagnés d'harmonies poignantes.

Quand le bandonéon, ce serpent de velours, se joint au piano, au violoncelle et au violon ou encore la guitare, les filles prennent bientôt la place des hommes pour des glissades plus sensuelles. Certains parlent d'une danse morose et pleurnicharde. D'autres s'enthousiasment pour sa gravité et son érotisme. C'est avant tout la forme la plus authentique des airs populaires argentins dont l'histoire est intimement liée à celle du pays. L'histoire de ces immigrants tel Carlos GARDEL, venus par milliers apportant avec eux les musiques de leur pays d'origine.

Le tango est la rencontre de la force du flamenco, de la volupté de la valse, des cadences nonchalantes des milongos créoles, de la rigueur de la polka. Le tango parle « andalou avec l'accent napolitain au son de l'accordéon allemand » (Paul Morand ). La France y trouve sa place grâce à Carlos GARDEL, né Charles Romuald Gardes, près de Toulouse, de père inconnu comme il se doit, embarqué à l'âge de trois ans avec sa mère repasseuse, vers les terres australes promises. Bâtardise, incertitude quant à sa date de naissance, milieu humble de l'immigration, humiliations subies par Berthe la blanchisseuse et mère de cet enfant du péché de quoi faire le texte d'un tango pathétique.

Une heure plus tard la première note du bandonéon est intacte, et le rêve peut se prolonger jusqu'aux petites heures du matin. L'oeil perdu dans le lointain, les couples s'enlacent et se délacent. Ils semblent ne jamais vouloir s'arrêter... 

Mais tout a une fin. Les lumières se rallument, le bandonéon se replie, le pianiste rabat le couvercle du piano, les danseuses enlèvent leurs bas résilles. C'est l'heure de rentrer.

                                                                        Nuit: Hôtel LAFAYETTE

 

J12           BUENOS AIRES - PARIS                                          16/11/03

 

« je te cherchais hier ma ville, en ces confins

Qui vont entremêlant le couchant et la plaine

Dans les grilles d'un parc où persiste encore

Une fraîcheur de limonier ou de jasmin »

J.L.BORGES

 

Dernier jour à Buenos Aires. Quartiers libres. Chacun part à la découverte de cette mégapole du nouveau monde au gré de sa fantaisie ou de ses aspirations.

Les uns vont à SAN TELMO où chaque dimanche se tient sur la place DORREGADO une brocante haute en couleurs et très animée : marchands, bateleurs, danseurs de tango, musiciens, mimes, chanteurs... Autour de la place des antiquaires chez lesquels on trouve les débris du naufrage de la bourgeoisie la plus riche d'Amérique latine. Elle a commencé à vendre quand le péronisme a soulevé les « descarmissados » (les sans chemises) et elle a fini quand les militaires ont ouvert la porte à l'inflation et à la misère.

Les mélomanes ont rendez-vous au TEATRO COLON, sans doute l'un des plus beaux fleurons de la ville. Son architecture inspirée du maniérisme italien, l'imposante marquise surmontée par une charpente de fer forgée, son lustre central, le contraste vif entre le velours rouge des fauteuils et les dorures, ainsi que la somptuosité de son salon doré synthèse de la galerie des glaces et du palais de Schönbrunn attestent du développement culturel clé la cité. Sur la scène du Colon se sont illustrés des divas de l'opéra comme Titla Ruffo, Maria Callas, Placido Domingo, Lucciano Pavarotti, la Tebaldi mais aussi des musiciens comme Manuel de Falla, Kurt Fûriwangler, Richard Strauss, Igor Stravinsky ... 7 des solistes comme Martha Argerich, Yheudi Menuhin ou des danseurs comme Anna Pavlova, Serge Lifar, Rudolf Noureïev pour ne parler que de quelques unes des étoiles qui ont éclairé les saisons musicales de Buenos Aires. La programmation annonce une première mondiale de l'opéra bouffe : « L'entrecôte», l'histoire dramatique d'une mère qui vend sa chair pour acheter de la viande à ses enfants. Dans la version végétarienne elle offre son brocoli en échange de légumes pour ses petits. On trouvera Philippe dans le rôle titre et Gérard à l'accordéon diatonique.

D'autres encore se mêlent aux chalands de la rue Florida pour dépenser leurs dernier Pesos à la galerie Facifico ( les Galeries Lafayette locales)

Buenos Aires en dehors de la multitude de taxis jaunes et noirs qui sillonnent les rues possède aussi un réseau de bus : les collectivos.

Le collectivo déboule bruyamment dans les rues vomissant derrière lui une épaisse fumée noire. Sur un trottoir quelques mètres plus loin, une foule compacte l'attend pour rejoindre son travail. Lorsqu'il freine à quelques cm de leurs pieds les gens n'ont même pas un mouvement de recul. Car aux commandes de l'engin sévit un artiste de la circulation. L'homme est pressé; accélération, freinage, coup d'oeil à gauche. Ici pas de code de la route, c'est le plus lourd qui passe ! Difficile de croire qu'il s'agit d'un véhicule de transport public. Le châssis issu d'un camion Mercedes tire une carrosserie flamboyante, surchargée de festons et de fioritures. A l'avant d'impressionnantes barres métalliques chromées font office de tamponnoirs. Et sur l'immense rétroviseur qui permet au chauffeur de s'amuser du mal de mer des passagers non initiés se côtoient pèle‑mêle un portrait de Carlos Gardel, dieu du tango, un fanion du Boca junior, le club de foot adoré et la vierge de Lojan, patronne de Buenos Aires qui virevolte sur une ventouse de fixation.

Alors Buenos Aires ??

Ville de contraste, de couleurs flamboyantes et de reflets estompés, ville aux contours antiques et effrités, ville aux mille visages. Ville d'or, de culture, d'expositions, de cafés, de théâtres, mais aussi de vila miserias, vastes bidonvilles, ville du tango triste et passionné, des eaux grises et huileuses, ville trépidante et au poids, terrible, d'un passé encore proche.

Buenos Aires belle et flétrie, cosmopolite et traditionaliste, effervescent et mélancolique, élégante et négligée au gré de ses quartiers.

Buenos Aires veut continuer à s'alanguir encore un peu et poursuivre les rêves d'Europe, une Europe enjolivée, fantasmatique.

Buenos Aires où la psychanalyse et la chirurgie esthétique pulvérisent des records mondiaux finira bien par se décider à affronter la réalité. 

On peut tomber amoureux de Buenos Aires, fou amoureux même de cette ville comme d'une femme pas forcément belle mais ensorceleuse, à la fois prude et très coquine, nostalgique et futuriste. 

Et les Argentins alors ?? La légende se plait à raconter que les Mexicains descendent des aztèques et les Péruviens des incas , les Argentins descendent ... du bateau. En effet, ils sont la conséquence de deux phénomènes : l'immigration et l'exil. Exil et non pas émigration car l'Argentin ne part pas chercher un pays où il vivrait mieux, ce n'est pas dans le domaine du possible, il s'échappe pour vivre moins mal.

Qui sont‑ils :

‑ Des espagnols, tous des « gallegos » nés en Galicie ou en Andalousie, garçons de café ou laitiers, dans l'imagerie populaire.

‑ Des italiens ou « tanos » , ayant fui la faim de la Calabre ou de la Sicile pour importer la pizza.

‑ Des « turcos » qu'ils soient Turcs ou Libanais, Syriens ou juifs sépharades fuyant l'empire Ottoman, redoutables hommes d'affaire.

‑ Des « rusos », sans distinction tous les juifs askenases ayant fui les pogroms, fournissant les petits métiers et aussi les prostituées polonaises.

‑ Des anglais qui importèrent le « fûtbol », le chemin de fer, les frigorifiques, exportèrent la viande et par chance, oublièrent d'importer le cricket.

‑ Des français qui apportèrent leur contribution à la prostitution et firent des « Madames » des bordels des héroïnes de tango, du « champana » la boisson pour noyer les peines de «corazon »

‑ Des allemands aussi (ils sont partout) qui introduisirent le fil de fer barbelé, bâtirent des abris pour les anciens SS et éduquèrent les généraux argentins de triste mémoire.

Tout le monde se retrouve à l'hôtel pour le transfert à l'aéroport où nous quittons Tamara, Buenos Aires et l'Argentine. Et selon la formule consacrée dîner, nuit et toutes prestations à bord.

 

J13                              PARIS   [48:51:00N 2:20:00E]                   17/11/03

 

Un jour le voyage prend fin et l'on rentre chez soi. Il faut défaire la valise, laver le linge de la précieuse poussière qui le macule, déballer les petits paquets de papier journal qui enveloppent les merveilles trouvées en chemin. On est rentré, mais on est encore un peu là‑bas.

Là‑bas sous le ciel d'Argentine, manteau de lumière à la clarté indistincte aussi invraisemblable que l'âme de cette terre lointaine, extrême et merveilleuse. Nuages, voiles de brume et soleil aveuglant en relief sur un panache de généreux coups de pinceaux, sur l'ondoiement d'une immensité d'espaces au gigantisme secondé de blancs, de gris et de noirs chargés de pluie et de mystère.

Ciel d'Argentine, boulevard de rêves, de musique, de légendes, d'aventures infinies insoucieuses de l'espace et du temps. 

Ciel d'Argentine sous lequel les horizons se penchent, les frontières se confondent permettant de libérer l'imagination et laisser galoper les rêves.

Du fond d'un de tes patios avoir regardé les étoiles

d'un banc dans l'ombre avoir regardé ces lumières éparses

que mon ignorance n'a pas appris à nommer, ni à ordonner en constellations

avoir senti le cercle d'eau dans la secrète citerne

l'odeur du jasmin et du chèvrefeuille.

Ces choses, peut-être, sont aussi l'Argentine.

Restent les odeurs, les musiques, les couleurs avec la lumière du matin, la lumière du soir, la noirceur de la nuit.

Alors c'est donc le retour : re-tour. Refaire encore le tour ! Repartir pour un tour. Ce n'est pas revenir, c'est recommencer. Donc à bientôt.

Il ne me reste plus qu'à remercier Gégé et Nath pour la mise en place du voyage et de l'après voyage. A vous tous aussi un grand merci pour votre bonne humeur en toutes circonstances et votre participation.

                Maurice

 

NB/ Gérard, scrute déjà...  la prochaine destination... 

Merci Maurice pour cette belle épopée narrée avec tant de poésie et d'esprit. Amitiés. GG.

Quelques liens utiles :

Le Climat de Buenos Aires

Les vins argentins sans compter l'ineffable cabernet-sauvignon du doux nom de "fond de cave", en français dans le texte !

La cuisine d'Argentine.