2001 Cambodge/Laos
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              « Le véritable Voyage de découverte ne

   consiste pas à chercher de nouveaux

    paysages mais à avoir de nouveaux yeux »

    Marcel PROUST                                                          

 

CAMBODGE - LAOS 2001

                                                                          

 

                 Note d’avertissement

 

« Nous présentons les choses vues pour vues et les choses entendues pour entendues en sorte que notre livre soit sincère et sans nul mensonge . »

                           Marco POLO

                                    Devisement du Monde

                                    ( 1298 )

 

Cet avertissement ne tient pas compte de la licence poétique de l’auteur, des effets des singles malts ou autres substances hallucinogènes. Par ailleurs chacun est libre de faire une analyse stylistique de mes épanodiploses et de mes épanorthoses qui ne sont que la transcription oulipienne de mes impressions.

« Joyeux,  je fonçais dans ce réel    

persuadé que j’en rapporterai beaucoup »

                                                                            Henri MICHAUX

                                                                            ( Un barabare en Asie )

Vishnou, Shiva, Ganesh, Urma, Mahomet, Siddartha, Jésus ... Ils ont tous passés par la Cambodge et le Laos. Avec plus ou moins de bonheur. Alors pourquoi pas nous?

Nous avons donc décidé ( démocratiquement, bien sûr ... ) de partir à la découverte de ces deux drôles de pays coincés entre la Thaïlande et le Vietnam. L’un est un royaume de cités en ruines et de rizières où les hommes ont la musculature et les traits des pirates, où les enfants jouent par milliers dans les rues. Un pays meurtri, incroyablement pauvre. Ici la vie cache toujours un drame, une rancoeur, une colère. Cette histoire c’est celle du Cambodge, dont la vie fait dresser les cheveux sur la tête. ( Ceci est une métaphore et non une moquerie s’adressant aux quelques atrichotiques voire chauves du groupe. )

L’autre... est un tout autre pays fait de douceurs et de silences. Entre la Chine de Confucius et l’Asie de Bouddha, au cœur de l’Indochine profonde, et comme au centre du monde. Vallées étroites, prairies soyeuses où le Mékong semble couler des jours heureux. Ici nulle colère, nulle violence mais des petits villages perchés sur les collines et des pagodes naïves qui brillent comme des rubis. Au Laos l’Histoire semble prendre du repos.

 

J   1                              PARIS    -   SAÏGON                                                                           02/11/2001

 Pensée du jour :

  « Le plus court chemin d’un point à un autre 

  c’est de ne pas y aller. »

 

C’est finalement à 20 que nous partons vers la mythique Indochine qui a attiré tant de voyageurs et d’aventuriers. Une première jonction se fait à Strasbourg-Entzheim entre les Alsaciens et les natifs de l’Outre-Forêts. Et déjà premier incident : Jacqueline L. essaye de monter à bord sans carte d’embarquement ce qui parait pour le moins audacieux ou inconscient en plein plan « vigie-pirate ».

Le groupe définitif se forme à Roissy-Charles de Gaulle. Après une incontournable alerte à la bombe nous montons à bord d’un avion de la Vietnam Airlines pour un vol vers HOH CHI MIN ville, Saïgon pour les nostalgiques, avec escale à Dubaï.

Escale mise à profit par Gérard S. pour acheter un tube de dentifrice Aquafresh*. Serait-il attendu à l’arrivée ?

Vol sans histoires ou incidents notoires.

                            Nuit à bord.

J  2                             SAÏGON       -          PHNOM  PENH                                                            03/11/200

Pensée du jour : 

«  Je n’ai peut-être rien à dire mais je le dis. 

C’est pas comme d’autres. »

Saïgon : nous nous retrouvons affalés dans une salle de transit en attendant le vol vers PHOM PENH qui se fait attendre. Les premiers stigmates de la fatigue deviennent apparents. Patrick s’endort tendrement sur l’épaule d’une autochtone peu farouche . Nos pilotes finissent par arriver avec des bagages à main lestés de bouteilles ( indiscrétion du scanner ) : kérosène ou whisky ?

Encore un peu de patience et ce sera le Cambodge.

« Voyageurs égarés dans ces contrées inviolables, gardez vous des                                   

étonnements et des surprises ; vous avez atteint le domaine des                                       

merveilles, la terre qui reçut la visite des dieux. »

                                      Roland MEYER

                                      «  Sarami, danseuse cambodgienne. »

«  Avant de mettre pied à terre observez vos narines : le côté où la respiration se fait indiquera le pied qu’il faudra poser en premier, cela est bon ».  Tel est le conseil que donne l’astrologie cambodgienne aux voyageurs.

Forts de ces recommandations nous débarquons dans la capitale du Cambodge dont la constitution de 1993 commence très fort : «  Nous peuple cambodgien ayant une grandiose civilisation, une réputation retentissante qui brille comme le diamant ... » Cela a le mérite d’être clair !!

L’aéroport de PHOM PENH est à peine plus grand que celui de Limoges ( on a les références qu’on peut !). La ville de la Dame Penh est la « capitale des quatre bras ( quatre bras pour les quatres voies  qui s’y croisent : le Mékong, le Tonlé Sap, le Mékong antérieur et le Bassac. ), l’heureuse maîtresse du Cambodge, la nouvelle Indoprostha ( nom officiel de Phom Penh au 15ème siècle. ).

«  C’est une ville hybride bâtie par les Français et peuplé par les Chinois. »

W. Sommerset Maugham  ( Un gentleman en Asie. )

A notre descente d’avion nous sommes accueillis avec des orchidées par la plus belle d’entres toutes : CHHORVIVOINN, la « jeune fille aux 6 lumières », qui va éclairer la suite de notre voyage.

A première vue PHNOM PENH offre le spectacle d’une capitale blessée et sale qui ressemble à une sous-prefecture surpeuplée. Mais bien plus fort est le charme d’une architecture qui rappelle les images des livres et cartes postales de notre enfance. Il faut aimer Phom Penh pour ce qu’elle fût, ce qu’il en reste et ce qu’il faut espérer qu’elle devienne.

Nous prenons les boulevards des bords du fleuve et on retrouve alors les avenues espacées des anciennes capitales coloniales , un génie français ( n’ayons pas peur des mots ) qui n’a pas été dépassé par le faux progrès moderne. Cela nous amène à un embarcadère où nous attend un bateau sensé nous mener au large pour un premier coucher du soleil sur le Mékong. Malheureusement il semble qu’il y ait une erreur de communication entre l’astre solaire et l’agence locale : nous arrivons trop tard.

Nous retournons donc au débarcadère ( curieusement le même endroit que l’embarcadère mais pris dans l’autre sens ). La sécurisation de l’endroit laisse François perplexe. Même avec une forte surprime, il refuserait un contrat d’assurance.

                                                 Nuit à l’Hôtel CAMBODIANA

 

J   3                             PHNOM  PENH        -      KRATIE                                                         04/11/2001

Pensée du jour :

« Un type qui se trompe en disant quelque chose de faux dit peut être quelque chose de vrai. »

 

Enfin le début des vacances : réveil à 5h15, petit déjeuner 6h, départ 7h. Cela a l’air dur lu comme ça, mais quand c’est dit par Chhorvivoinn cela devient un vrai bonheur.

Dur quand même.

A l’aube, donc nous nous embarquons à bord de la Khemara , l’un de ces jet-boats qui font la réputation du Mékong et de la marine cambodgienne. Ce frêle esquif se transforme rapidement en radeau de la Méduse. Malgré son chargement hétéroclite en hommes, animaux, marchandises de toutes sortes, malgré une ligne de flottaison aléatoire  cet engin reste au-dessus de l’eau et fend les flots avec beaucoup d’allure. 

Sept heures de navigation nous permettent de côtoyer les gens du fleuve et d’admirer ses berges et les villages qui s’y accrochent. Nous voici donc sur le Mékong . Un nom qui frappe comme la sonorité d’un gong sous le ciel de la mousson. Le fleuve-mère, fleuve mythe long de 4020 km . Toutes les couleurs de rouille se mélangent comme un fabuleux milk-shake chocolat-vanille. Des tourbillons instables brossent les flots lourds gavés d’alluvions. Il grossit les lacs et noie les plaines sans vergogne. Il s’alanguit, s’avachit, s’étire comme un animal repus, comme un long serpent qui enserre dans ses méandres une végétation vaincue d’avance. Tous les démons et tous les dieux , les rêves et les cauchemars de l’Asie semblent se cacher dans ce fleuve épopée.

Sur ses rives, les villages sont construits en hauteur. Il faut avoir le pied montagnard pour gravir les marches glissantes taillées dans la berge abrupte. Le dessous des maisons perchées sur pilotis abrite pêle-mêle les hommes et les animaux. De loin en loin des monastères aux toits gigognes couverts de céramiques dorées dressent leurs multiples cornes effilées avec l’élégante agressivité de yatogan.

Le soleil est à son zénith  ( bref il est midi ) quand nous accostons à KRATIE, bourgade d’un autre âge qui s’étale avec nonchalance sur 4-5 km au  bord du Mékong. Jadis première cité « libérée » par les khmers rouges, statut lui ayant permis d’échapper à la destruction totale de son architecture délicieusement obsolète. Cette cité offre l’atmosphère surannée de l’époque coloniale. Dans la promenade ombragée de frangipaniers, de teks et de tamariniers on retrouve l’Indochine des romans de Hougron : un cocktail de sous-préfecture, de ville balnéaire, d’exotisme de bazar, de pauvreté, d’odeurs, de population, le tout secoué par un barman neurasthénique.

Après une rapide prise de possession de nos chambres nous allons en ville en passant par le grand marché central pour un repas à base d’os de poulet sensé renforcer nos sacrums et autres vertèbres avant de prendre la piste. D’antiques minibus nous cahotent et nous brinquebalent sur une route défoncée pour nous amener à la PAGODE AUX CENT COLONNES. 

Si la voirie est plus que  défectueuse ( mais que font les maires ? ) le bord de la route offre un spectacle haut en couleurs : vielles maisons khmères sur pilotis et aux toits de tuiles, paillotes couvertes de chaume, profusion de cochons qui déambulent de part et d’autre, là un buffle énorme se roule dans la boue et mâchouille d’un mufle baveux de tendres nénuphars ou une vache famélique ruminant l’œil morne en regardant passer les bateaux sur le Mékong... Bien sûr il y aussi des hommes assis devant leur demeure, des femmes actives et des enfants nus. Toute la vie de la campagne... Nous pourrions nager en plein  bucolisme si ce havre de paix n’était perturbé par les cris d’orfraie et de vierges effarouchée que pousse un ancien édile de l’Outre-Forêts au fond de son minibus.

Même les plus mauvaises pistes ont une fin et nous finissons par arriver à la fameuse Pagode au Cent Colonnes. Comme vous étiez tous suspendus aux lèvres de Vivoinn je ne reviendrais pas sur ce monument de l’art bouddhique.

Le retour est tout aussi épique voire plus en raison de la nuit qui tombe. Un léger brouillard de fumée bleutée s’étiole dans la bise au-dessus des maisons. Des odeurs aussi (pour ceux qui voyagent nez au vent). Des miscellanées d’effluves doucereuses, putrides , sucrées et âpres musardent le long de la piste.

C’est les reins brisés et les sacrums raccourcis que nous prenons le repas du soir.

                                                                         Nuit à l’Hôtel SANTEHEAP  

J   4                             KRATIE   -   KOMPONG CHAM                                                05/11/2001

 Pensée du jour:

 « C’est quand il y a un temps mort qu’il faut tuer le temps.      Paradoxal non ?   »

 

Réveil 6h. Nous sommes toujours en vacances !! Nous prenons la même route (??) avec déjà quelques défections.

A bord de pirogues à longues queues nous assistons aux ébats des Orcagilla brevirostris ou paa khao en lao ou plus simplement les dauphins Irrawaddy. Ces mammifères d’eau douce d’environ 2-3 m au front bombé seraient les réincarnations d’êtres humains.

Nous rejoignons ceux qui ont fait la grasse matinée ( leurs noms seront tenus secret ) pour un petit déjeuner en commun avant de lever l’ancre à bord du Royal, autre fleuron de la marine locale. 

                                   

Nous débarquons à KOMPONG CHAM . Autrefois prospère cette petite ville coloniale s’organise autour d’un marché central. Elle est célèbre pour ses cultures d’hévéa, de coton et de tabac mais aussi pour ses filles réputées fort jolies. Dans la région sont fabriquées des poteries domestiques qui se font sans tour et sans four.

Ici le Borasses flabellifer alias palmiers à sucre ou THNOT en khmer ponctue le paysage végétal. Au coucher du soleil quand les rizières sont en eau il transforme le paysage en véritable cathédrale de lumière.

Traditionnel repas en ville avant de nous rendre par un chemin à travers les rizières vers le VAT NOKOR , la « pagode de la ville », qui s’élève au lieu-dit PHOM BACHEY, la « hauteur de la grande victoire », qui est en fait un monticule dans un paysage plat. Ce sanctuaire pré-angkorien, en grès et latérite, possède une tour centrale en forme de stupa. Pour le reste souvenez-vous des explications de votre guide préférée.

Nous reprenons notre bus pour gravir la colline des hommes, PHNOM SREI, qui fait face à la colline des femmes, PHNOM PREY. Cette dernière est plus haute grâce à une fourberie typiquement féminine. Mais juste retour des choses, elle est peu fréquentée. Chemin faisant un directeur de chorale paroissiale nous chante l’épopée du fameux Constantin dont la mégalie brachiale autorisait des perfomances que rigoureusement mon épouse m’interdit de répéter ici.

                                                 Nuit à l’Hôtel MEKONG

 

J5                             KOMPONG CHAM    -   KOMPONG THOM                     06/11/2001

 Pensée du jour :

«  L’avenir me fait peur. Je lui tourne le dos et il est toujours devant moi »

 

Nous traversons les campagnes qui restent plongées dans les oubliettes du temps. La route nationale est une fondrière. Ici le temps s’est arrêté : maisons en bois sur pilotis derrière des mares ponctuées de lotus, charrettes à bœufs, buffles vautrés dans la boue, poules et poussins traversent la chaussée , élégantes écolières à vélo...

Et partout on pêche, une pêche miraculeuse, à la ligne, à l’épervier, à la nasse...

Au-delà des arbres et des maisons s’étend la plaine, toute illuminée de soleil, et comme vitrifiée. Et partout les thnots avec leurs cimes charnues, si caractéristiques. A cette distance on dirait des clous de tapissier. A leurs pieds les rizières à sec forment un patchwork aux tons sableux, ocres ou calcaires. Paysage immense tremblant comme un mirage. Tout un symbole ces palmiers. Au Cambodge le thnot c’est la vie, presque autant que le riz. Les Khmers ont appris à en tirer tant de bonnes choses... Troncs et palmes servent à la construction des maisons. Les fruits sont mangés mûrs ou en patisserie. Leur noyau produit un médicament qui soigne la conjonctivite. Les fleurs incisées produisent une sève foncée qui du sucre après ébullition. Le jus fermenté se transforme en vinaigre ou en alcool au choix . Avec les tiges on fait des fibres et des cordes... Une forêt de thnots fait vivre un village entier. Il y a là aussi des aréquiers, kaokiers, des manguiers, des jacquiers... Dans l’ombre de leurs branches brillent des fruits gorgés d’eau et de sucre, les papayes, les goyaves , les dorions, les caramboles, les biltis, les ramboutans, les mangoustans. On distingue les bananiers couleur pomme verte et toutes les cultures qui font l’ordinaire des paysans khmers. La canne à sucre, le coton, les patates douces, le maïs, le tabac, le sésame, les arachides. Le manioc qu’il faudra râper, tremper dans l’eau et pétrir pour le rendre comestible. Ou la cardamome, dont la graine facilite la digestion, parfume l’haleine et fortifie les jeunes accouchées.

On croise d’incroyables charrettes antiques attelées à une paire de buffles. De temps à autre des chevaux de petite taille traînant d’énormes carrioles que les paysans ont chargées à ras bord de légumes. Les animaux sont harnachés; comme au cirque d’un collier surmonté de pompons multicolores et de clochettes s’agitant au rythme du trot. Ce sont les couleurs vives que les Cambodgiens voudraient enfin retrouver et apprendre à leurs enfants. De nombreux canaux, lagunes et rivières languissent paresseusement parmi les rizières, entre les cocotiers et les palmiers.

A SKUOP nous faisons comme les autochtones un arrêt pour déguster la spécialité locale : la mygale frite qui se consomme comme un crabe en cassant la carapace. Petit en-cas pour le moins exotique.

      

Encore un arrêt avant le déjeuner : la visite du VAT PRADASH UM PRADASH . 

  

Puis à une trentaine km de Kompong Thom nous nous arrêtons à SAMBOR PREI KUK, le plus remarquable des sites pré-angkoriens, facilement accessible par une piste en latérite toute neuve. C’est la première capitale de la civilisation khmère à son apogéesous Içanavarnam 1er (  615-635 ). Cinquante prasats, parfois délabrés, parsèment une forêt clairsemée qui bruit sous le cri des oiseaux siffleurs. Une cité oubliée et merveilleusement préservée. Le silence de la forêt envoûte et oppresse tout à la fois. On pénètre dans le livre de la jungle. Baghera n’est pas loin et Sher kahn rôde. Les racines aériennes de ficus étrangleurs engloutissent les pierres et les tours en briques rouges ornées de magnifiques sculpture d’inspiration indienne. Parfois des formes se dissimulent dans les motifs usés particulièrement émouvants: là un visage humain ; ici un minuscule cheval ailé. Au coeur de cette cité est née la « vénus cambodgienne », célèbre statue de la Durga, aux courbes si parfaites, qui témoigne du début de l’art khmer.

Un dernier arrêt au pont d’Angkor avant d’arriver à KOMPONG THOM, charmante bourgade en plein fief khmer rouge.

                                                 Nuit à l’Hôtel SAMBOR PREI KUK

 

J  6                             KOMPONG THOM    -   SIEM REAP                                          07/11/2001

Pensée du jour :

 « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. C’est mon avis.

Et je vois pas pourquoi j’en changerais » 

 

Nous prenons possession des 4x4 dès l’aurore pour nous engager sur la fameuse N6 et parcourir les 157 km qui nous séparent de SIEM REAP.

A droite et à gauche de la route on retrouve les mêmes paysages que les jours précédents: maisons de bois sur pilotis entourées d’étangs, de lotus et de cocotiers dans un décor de rizières. Quelques temples aux toits vernissés vers lesquels se dirigent des enfants en chemisettes blanches.  Là un arbre du voyageur qui dresse une main amicale doigts écartés et quelques bananiers à l’oreille basse ( il s’agit là de métaphores !)

     

Si les accotements sont bucoliques il n’en est pas de même de la chaussée. Nids de poules succédant à des fondrières, pans de route emportés par des flots impétueux obligeant des passages de gué. Chacun avance comme il peut, seul ou avec l’aide d’un tracteur ou d’un compagnon de route. Ici la solidarité est obligatoire sinon on reste sur place. Sur ce parcours dantesque de petits malins ont installé des zones à péage aux endroits les plus scabreux. La solidarité à l’instar de la santé n’a pas de prix !

       

Nous arrivons sans encombres et ravis à SIEM REAP en début d’après-midi. Après la prise d’un repas bien mérité les uns prennent du repos, d’autres partent à la découverte de la ville et il y en a même un qui va se faire « masser » dans un établissement spécialisé. Rassures-toi François nous ne te dénoncerons pas ).

SIEM REAP, le « massacre des Siamois », est une paisible cité dont l’activité entière tourne autour des flux touristiques provoqués par la proximité des temples d’Angkor. On trouve pêle-mêle des galeries d’art proposant des effigies d’apsaras et autres sculptures angkoriennes, des restaurants et une myriade d’hôtels pour tous les goûts, des maisons individuelles transformées en guest-house. On mise aussi sur la tourisme de luxe à l’image du «  Grand Hôtel d’Angkor  », un vieux palace français des années vingt restauré à grand frais et qui tranche de façon provocante avec les façades lépreuses du quartier central où s’entasse une population miséreuse attirée par cette manne financière.

Le nouveau marché, PSAR TELA, est un grand carré installé dans l’ancien quartier français. Il abrite des étals d’objets domestiques, de vêtements, de bijoux en toc, de livres, de cartes postales... Mais on y trouve aussi des poissons terreux du fleuve encore frétillants, des beignets de bananes ou des oeufs de fourmis, le caviar laotien.

 

A la tombée de la nuit le long des rives du canal aménagées pour la flânerie, des réverbères tout droit sortis des vieux quais parisiens, mais en pierre ceux-là, éclairent les passants. Devant la poste est accrochée une vieille boite aux lettres jaune de l’époque coloniale annonçant fièrement que la 3ème levée à été faite il y bien longtemps.

 

                                                 Nuit à l’Hôtel ANGKOR

J    7                              SIEM  REAP                                                                                       08/11/2001

  Pensée du jour :

« Dans le passé j’avais plus d’avenir que maintenant. »

 

Grand  jour aujourd’hui : la visite des temples d’ANGKOR.

Antoinette et François arrivent en retard. La première parce qu ’elle a surveillé les geckos toute la nuit et l’autre mal remis des massages de la veille! Un bonheur n’étant jamais parfait Chhorvivoinn nous laisse entre les mains de « Youpi » (??), le guide local.

ANGKOR ! Deux syllabes qui font rêver et dont la finale ouverte invite à la découverte . Nous voici donc à l’est du grand lac TONLE SAP vers le 14ème ° de latitude  et le 102ème° de longitude à l’orient de Paris où se trouvent ces ruines qui vous transportent comme par enchantement de la barbarie à la civilisation, des ténèbres à la lumière.

« Voici donc ces temples qui apparurent si longtemps à notre imagination comme de fabuleuses visions. »  

                                                 Claude FARRERE  ( L’Illustration 1931)

A l’instar d’Henri MOUHOT qui « retrouva » Angkor en cherchant des insectes inconnus en 1858 nous nous écrions : «  Ah, que n’ai-je la plume d’un Chateaubriand ou d’un Lamartine, ou le pinceau d’un Claude Lorrain, pour faire connaître aux amis des arts combien sont belles ces ruines.. »

Tant d’autres écrivains ou aventuriers nous ont laissé leurs impressions. 

Roland Meyer très lyrique: «  Du ciel seul a pu tomber sur la terre Angkor, prodigieux fragment des royaumes stellaires.. ». 

Dramaturgique, Paul Claudel : «  Angkor est bien un de ces endroits maudits, le plus maléfique que je connaisse. J’en étais revenu malade et la relation que j’avais faite de mon voyage a péri dans un incendie.. ».  

Je salue la perfection, écrivait Tcheou Ta Kouan dans la très vivante relation qu’il fait du séjour qu’il passa en 1296 dans l’antique capitale khmère.

Un romancier français aux prunelles d’encre, ancien ministre de la culture, donna ces lettres d’aventure, un frisson de romantisme avec ses descriptions d’une jungle glauque , habitée de pierres moussues. Lui qui aima Angkor au-delà du raisonnable souhaitait « jeter son imagination contre ces capitales de poussière, de lianes et de tours à visages. »

Angkor, symbole d’un peuple, symbole d’un art. Alors même qu’à Paris la Sorbonne et Notre-Dame rayonnent de leurs propres feux les rois-dieux du Cambodge achèvent au cœur de leur empire une métropole de pierres et d’eau. Ville fossile posée sur les rives du Tonlé Sap comme une énigme, Angkor fût un jour la capitale du Cambodge. Non le pays déchiré, meurtri, que nous connaissons mais l’état théocratique édifié par les Khmers, qui jusqu’au 13ème siècle , s’étendait sur la quasi totalité de la péninsule indochinoise jusqu’en Malaisie. A la manière des anciens romains, pour lesquels Rome était la «  cité universelle », les Khmers ont attribué un surnom à leur capitale : NAGARA, la ville en langue sanscrite.

Nous prenons le chemin bordé de grands arbres qui pénètrent dans l’enceinte de l’ancienne cité d’ANGKOR THOM par la porte sud. Tout de suite une vue merveilleuse : un pont qui enjambe les douves y est escorté par une double rangée de 54 statues de pierre. Ce sont les géants et les gardiens de la ville qui tient sur un serpent à neuf têtes évoquant le « barattage de l’océan de lait». L’élégante porte est faite d’un arche s’appuyant sur des éléphants stylisés et est couronnée de quatre grandes têtes dirigées vers les points cardinaux. En la passant on pénètre dans le monde khmer rempli de mystère et de grandeur.

  


De l’autre côté de la porte s’étend un magnifique parc, où quelques vestiges de pierre percent par endroits ce tapis de grands arbres. Nous nous retrouvons devant un imposant amas de pierres noires, intrigant... Quelques secondes plus tard, un rayon de soleil éclaire les ruines et comme par enchantement, de grands visages aux sourires énigmatiques et aux regards vides, un peu inquiétants apparaissent de tous côtés sur les différentes terrasses du sanctuaire. Magique !

Nous sommes au BAYON, la « montagne magique ».

   

Le Bayon avec sa forêt de tours se projetant aux quatre points cardinaux. En levant la tête vers celles qui vous surplombent, noyées de verdure, un pâle sourire vous tombe dessus et puis un autre sourire encore là-bas sur un autre pan de mur et trois et puis cinq et puis dix ; il y en a partout et l’on se sent surveillé de toute part. Où que vous soyez il y a toujours un visage insolite qui vous observe. On se sent pénétré par le sourire de ces déités aux yeux d’amandes, aux nez épatés, aux lèvres gourmandes joliment ourlées avec on ne sait quelle féminité caduque. On se sent dominé, poursuivi et leur expression d’apaisante sérénité ne nous rassure pas vraiment.

Si ANGKOR VAT figure l’idéal khmer classique le BAYON est un peu son répondant gothique. Il comporte trois niveaux de terrasses que l’on atteint par des couloirs méandreux, un labyrinthe de galeries obscures encombrées de piliers qui semblent avoir poussé par touffes. Des bas-reliefs d’un réalisme caricatural qui fait songer à Bruegel, y dépeignent avec humour et insolence les choses les plus triviales de la vie khmère: combats de coqs et parieurs, ascètes essayant d’arracher le sarong d’une jeune fille, homme s’épilant la barbe  devant un éclat de miroir... On voit même de jeunes Cambodgiens occupés à abuser trois chinois sur la place du marché, l’un faussant la balance en y posant furtivement un doigt.

Les paysans transportent toujours leur marchandises dans des paniers, les pêcheurs jettent leurs filets lestés avec la même féconde habilité. Les femmes dans de petites embarcations continuent à cueillir des boutons de lotus dans les douves et les étangs qui entourent les monuments d’Angkor. Comme si elles étaient en relief dans l’eau. Ces images ont été reproduites sur les murs séculaires du Bayon. Ces sculptures de montrent des scènes de la vie quotidienne qui sont les mêmes que celles d’aujourd’hui. La vie majestueuse et raffinée a disparu depuis longtemps d’Angkor mais le rituel millénaire de la campagne continue de se dérouler dans l’ombre des temples .

Plus loin nous rejoignons l’enceinte royale  et le PHIMEANAKAS, le « palais céleste »,  et le BAPHUON représentation pyramidale du Mont Meru. Du palais royal il ne reste plus grand chose mais les lions gardiens ont subsisté à chaque coin des terrasses. L’endroit est calme et bucolique . Près du grand bassin des enfants jouent et font paître leurs vaches. La TERRASSE  DES ELEPHANTS était utilisée par le roi et la cour pour assister aux défilés et autres grandioses manifestations qui avaient lieu sur la place royale. Le mur qui soutient la terrasse est décoré sur toute sa longueur de bas-reliefs représentant des éléphants, des lions, des garudas, d’un cheval à cinq têtes  et des scènes de chasse .

LA TERRASSE DU LEPREUX beaucoup plus petite que la précédente à la forme d’une croix et certains historiens pensent qu’elle servait aux crémations royales. Hormis les légendes qui circulent à son sujet on ne sait rien ou presque de ce roi « lépreux » dont la statue sur les terrasses n’est qu’une copie. Les murs de soutènement sont ornés de sculptures de personnages assis : apsaras, rois , princesses...

Au bout du chemin aux pierres déchaussées TA PROHM, l’antique temple résiste vaillamment aux outrages du temps et à l’attaque tentaculaire des immenses banians , fromagers et ficus. 

       

Un jour sinistre les blocs de pierre taillées se sont éboulés dans un grand chaos avant de se figer pour l’éternité. Nous franchissons une porte en espérant que le lourd linteau dangereusement penché attende encore un peu avant de s’écrouler. Il est joliment sculpté d’une scène de la vie quotidienne rappelant une époque révolue. Le temple semble mort étouffé dans les griffes de la nature comme le fût LAOCOÖN dans la mythologie grecque. L’effet parait surréaliste, donnant l’apparence d’une forme déformée, métaphore à la Salvadore Dali de la persistance de la mémoire.

Nous pénétrons doucement dans une large coursive voûtée desservant des salles effondrées envahies de racines. Il règne dans ce temple inquiétant, où le moindre bruit résonne, une étonnante fraîcheur. Dans ce chaos minéral, contre les murs restés debout, les apsaras dansent. Leurs mains sont gracieusement relevées comme des accents vers le ciel. Et comme si l’extrême beauté de leurs corps ne pouvait supporter la grossièreté d’un autre vêtement que le pagne, les apsaras ne sont vêtues que de bijoux : elles en portent autour du cou, aux chevilles et aux poignets et sont coiffées de hauts diadèmes et de tiares. Elles offrent encore à l’homme qui passe la vision de leurs seins lourds au galbe de mangue, la douce courbure de leurs corps, leur taille fine et leur délicate gaucherie qui émane de leurs cuisses écartées à la façon des grenouilles . Elles ont survécu aux amants de chair qui les ont taillées dans la pierre avec amour et ferveur. Ces esclaves ne savaient pas qu’ils étaient des artistes épris de la femme idéale émergeant de l’ombre comme pour dire : «  Voila ce qui ne meurt jamais : la Beauté. A présent des racines vicieuses et diaboliques s’insèrent entre leurs jambes, balafrant leurs visages. Les danseuses khmères ne peuvent pas échapper à l’impitoyable invasion de la forêt. Mais elles continuent malgré tout de sourire depuis maintenant mille ans pour conjuguer les maléfices et apprivoiser le temps. Qui dira ce que sont devenues les cendres des belles sur qui furent copiés ces torses parfaits?

Il est temps de revenir aux dures réalités du quotidien. 

Nous allons donc déjeuner avant la visite tant attendue d’ANGKOR VAT.

« Il n’y a rien au monde comme Angkor, les monuments grecs et les cathédrales parlent à l’intelligence. Angkor touche ta peau, ton sang. Angkor se respire autant qu’il se voit. »

                                                                                                                  Loup DURAND  ( Jaraï )

Voici donc la chaussée triomphale pavée de dalles disjointes et gardée par quelques nâgas menaçants, ces divinités serpentines à sept têtes. Et nous voici marchant vers le temple de grès couronné de ses cinq tiares aux allures pontificales.

S’avancer.

Marcher d’un pas respectueux et hésitant comme on hésite à s ’approcher d’un mythe. L’eau stagnante des douves, que tache le bleu crémeux des nénuphars, les palmiers à sucre hissés sur leurs pattes au milieu du gazon indien vert acide comme des curieux attendant un cortège. Une vache agite sa queue avec irrévérence devant le décor ancestral.

Le temple est noir, un noir sans nuances accentué par le bleu du ciel et les variations de verts de la savane , des eucalyptus, des tamariniers, des banians et des manguiers.

Enfin la masse.

Le temple est immense. Il s’étale sur toute la largeur du paysage. Dans ce trésor architectural la patience, la force et le génie de l’homme se sont superposés pour confondre l’imagination. Partout ce ne sont que terrasses, arcades, esplanades, enfilades, portails, embarcadères, escaliers, linteaux, corridors, assises, galeries ou dômes. Et tout cela est lancéolé, flammé, géùiné, anché, brodé, tiériculé, fasciculé, denticulé, réticulé, auréolé, festonné, polylobé, chantourné, écroulé, fissuré, ébréché, cassé ou affaissé .

       

A la fin il se mêle à l’admiration que l’on éprouve pour ces richesses, un profond sentiment de tristesse. La crainte que ces merveilles, chef-d’œuvre du génie humain ne puisse révéler le secret qu’il renferme avant sa destruction complète. « Le temps aux plus belles choses se plait à faire un affront. » et le temps attaque les monuments khmers. L’eau tout comme Shiva est à la fois source de création et de destruction. Elle arrose la plaine où pousse le riz et apporte leur nourriture aux poissons des lacs et des rivières. Elle peut également déployer une force incomparable, emportant tout sur son passage. L’ancienne civilisation khmère construisit canaux et réservoirs, douves et bassins qui apprivoisèrent le débit. Angkor est un empire né de l’eau et quand les canaux et les réservoirs ne furent plus entretenus l’eau de nouveau débridée a infiltré et sapé sa gloire plus que les arbres et la cupidité des hommes.

Dernier effort de la journée: la montée au sommet du PHOM BAKHENG par un escalier disjoint pour les plus courageux. D’autres se prenant pour des Indiana Jones le grimpent à dos d’éléphant. Les pachydermes avec leur air bonhomme d’auxiliaire indispensable et de supériorité bienveillante avance d’un pas lourd avec leur indicible chargement.

Sur le sommet la foule silencieuse attend le mythique coucher de soleil sur le temple funéraire de SURYAVAMAN II. Une fois encore le rendez-vous est manqué . Que font les agences ?

Dîner en ville avec danses issues du folklore khmer. Où sont les devatas et les apsaras ??

                                                 Nuit à l’Hôtel ANGKOR

 

J  8                             SIEM REAP      -    PHNOM  PENH    -    VIENTIANE                  09/11/2001

Pensée du jour :

                                                          «  Pour avoir de l’argent devant soi il faut le mettre de côté »

Réveil 5 heures ! C’est toujours les vacances. 

Nous nous envolons vers Phnom Penh et Chhorvivoinn dont l’absence pèse cruellement. Nous survolons le  TONLE SAP que les khmers désignent sous le nom de TENK DEI , eau-terre ». Ce grand lac dont Mouhot comparait la forme étranglée à celle d’un violon, présente des caractéristiques uniques au monde. A la hauteur de Phom Penh, le bras qui prolonge le lac ( le manche du violon pour ceux qui suivent ) rejoint le Mékong et épouse son activité. Ainsi pendant la majeure partie de l’année le Tonlé Sap se vide et le défluent apporte son eau au Mékong se dirigeant d’amont en aval ( vous suivez toujours ? ). Pendant la mousson au contraire il sert de déversoir aux torrents gonflant le fleuve et sa circulation s’inverse. Ai-je été clair ? Selon les années il peut quadrupler sa surface entre juin et octobre. La forêt inondée permet le frai d’une variété considérable de poissons, dont certaines espèces très rares et recherchées telle le TREY MIECH ou poisson royal pouvant peser jusqu’à 25 kg. Et comme disent les Cambodgiens: «  Mien trek, mien trey » ( où il y a de l’eau il y a  du poisson .)

Cette digression nous permet de nous poser à Phnom Penh illuminée par les « six lumières ». Cette ville en a bien besoin car on ne compte pas le nombre de fois où elle a été détruite, abandonnée et « refondée ». Ses habitants s’en allèrent de force un matin d’avril 1975 sans connaître leur destination. Pendant quatre ans la ville fût «   noire et rouge », noire du vide et rouge des fleurs de flamboyant et du sang répandus sur le sol.

Aujourd’hui nous retrouvons notre pas d’occidental pressé pour faire les visites prévues. Nous commençons par le PALAIS ROYAL. A l’écart de la rive du fleuve ( le Mékong pour ceux qui ne savent toujours pas ) les vastes quartiers du roi Norodom Sihanouk forment un clairière dans cette ville encombrée. Jardins à la française soigneusement entretenus par des jardiniers silencieux, cours spacieuses et pavées, statues équestres des princes cambodgiens... Il s’agit en réalité d’un vaste ensemble composé de nombreuses pagodes peintes en jaune, la couleur royale, derrière un mur décoré de fresques représentant des épisodes du Ramayana. De l’extérieur ses hautes tours pointues font penser au VAT PHA KHEO de Bangkok mais on constate assez vite qu’il est loin d’être aussi somptueux.. Ce palais est en fait un ensemble de constructions aussi hétéroclites que la porte de la Victoire, le Phon Mondav, la salle du trône, le palais Kermain, la superbe Pagode d’argent ou l’étrange pavillon gris foncé construit sur l’ordre de Napoléon III à Ismaëli à l’occasion de l’inauguration du canal de Suez, afin d’y accueillir l’impératrice Eugénie. Celle-ci en fît cadeau au roi Norodom en 1870.

        

Nous courrons toujours derrière Vivionn afin de voir un maximum de choses au MUSEE NATIONAL qui abrite sous son pourpre terni par la pluie ravageuse l’âme d’Angkor.. Le jardin intérieur avec ses quatre bassins de nénuphars inspiré des temples khmers est ponctué en son centre par la belle statue du ROI LEPREUX. « IL y a au mois une statue aussi belle que tout ce que les mayas ont jamais taillé dans la pierre... » W. SOMMERSET MAUGHAM  ( Un gentleman en Asie ).

Seule vie dans ce silence le bruissement soyeux des milliers de chauve-souris abritées dans les doubles-plafonds.

Nous déjeunons  à 10h30 !!  Le temps presse, notre avion et le Laos nous attendent. Le restaurant se situe près du PSAR THMAY ou marché central, étrange bâtiment art-déco construit par les Français. Il évoque une base lunaire avec une grande sphère centrale et quatre tentacules qui s’étendent vers chaque côté de la ville. Sa coupole jaune écaillée et couverte de traînées noires - humidité oblige - abrite autant de secteur qu’il existe de type de marchandises. La circulation autour est impressionnante car c’est jour férié aujourd’hui: des mobylettes, des vélos, des cyclo-pousse, des motos, des voitures dont certaines avec la conduite à droite, de vieux camions russes, chinois, allemands,  japonais...

Les aéroports, comme les quais de gare, donnent souvent lieu à des scènes déchirantes. A Phnom Penh c’est le cas. Il nous faut laisser la «  Jeune Fille aux six lumières » qui a éclairé notre séjour chez les Khmers. Chhorvivvoinn restera dans nos cœurs car pour nous elle est ce Cambodge meurtri qui se relève pour un avenir plus souriant.

Un petit vol et nous voila au LAOS, au pays « du million d’éléphants » où il n’y en a plus guère, dans la République Démocratique Populaire Lao (tout un programme !!). Nous sommes en 2543 dans un pays sans villes. A peine débarqué on met pied sans le savoir dans la capitale VENTIANE. Tout juste un gros bourg où voitures et chars à bœufs cohabitent aujourd’hui sur cinq routes qui s’entrecroisent sur la place NAN PHU, la place de la fontaine. Là en plein après-midi pas un passant pressé, pas une voiture folle... Nous sommes au pays du grand sommeil, au pays de la belle au bois dormant, au cœur de l’ envoûtante Indochine oubliée des bords du Mékong. Pour entrer dans le décor on se doit d’apprendre à respirer lentement, à écouter, à regarder autrement. On se doit aussi de connaître l’insouciance, d’oublier ses repères. Pour suivre le rythme local il faut s’accorder un peu de farniente entre deux siestes en attendant de se coucher le soir. Pourtant notre guide Kah MOUN nous dit qu’il y a plein de boites « de nouilles » (?) à Ventiane . La plus lilliputienne des capitales de la région a des allures de sous-préfecture poussiéreuse.

Kah Moun s’avère très disert et en un rien de temps nous connaissons tout de la situation géopolitique de son pays : le Laos est un grand exportateur d’électricité, il est limitrophe de la Thaïlande située sur l’autre rive du Mékong, il possède des industries variées et nombreuses et de belles maisons à louer. Et comble de raffinement les femmes laos savent faire la cuisine épicée ( pour les occupants du fond du bus ).

Notre guide ne résiste pas à l’envie de nous faire admirer le fleuron de la république populaire : le PONT DE L’AMITIE, ouvrage d’art qui franchit le Mékong pour rejoindre la Thaïlande qui scintille de mille feux sur l’autre rive . Je vous rappelle que le Siam se trouve en face !!

Autre haut lieu culturel de Ventiane dont la visite ne souffrira d’aucun retard : le fameux «  JARDIN DES BOUDDHAS », une espèce de mandarom revisité par le facteur Cheval. Délirant et kitsch !

                                                             Nuit au NOVOTEL

 

J  9                             VIENTIANE   -   LUANG PRABANG                                          10/11/2001

Pensée du jour : 

« Brûler un feu ? Comme si on disait mouiller de l’eau . »

" SABA DEE ! "  

Un saut de puce matinal  nous amène de Ventiane à  LUANG PRABANG. Entre l’aéroport et la ville nous apprenons :

1) que les Laos «  ont finit les rois » en 1975

2) qu’ici aussi il y a des maisons à louer

3) que de l’autre côté du Mékong c’est le Laos;  nous nageons en pleine confusion !

4) il y a quinze minutes nous étions à un quart d’heure de Luang Prabang

LUANG PRABANG, l’ancienne capitale royale, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, la cité du bouddha d’or est le saint siège de l’autorité bouddhique. Quand Francis Garnier y pénètre en 1867 il est frappé par la richesse du lieu qui détonne avec le reste du pays: «  Nous n’avions pas rencontré une agglomération aussi considérable de maisons avec au milieu ce palais du roi adossé à un escalier de plusieurs centaines de marches conduisant à la pyramide sacrée des Laotiens ». Luang Prabang,  encore appelée la cité des flamboyants, est lovée à l’endroit  où la rivière NAM KAHN rejoint les eaux plus larges du Mékong. Elle reste une petite ville paisible et l’architecture y marie le style traditionnel hérité des siècles passés avec les vestiges du protectorat français, petits palais croquignolets à la thaïlandaise, demeures laotiennes en bois sur pilotis, maisons en tunnel d’inspiration chinoise à la décoration kitsch, baraque de planches et de tôle, maisonnettes à vérandas, arcades et portiques...

A tout seigneur  tout honneur nous commençons notre visite par le VAT THAT LUANG, le monument le plus important du Laos de son vrai nom « le divin reliquaire », « sommet précieux du monde », où il y aurait un morceau d’os iliaque ( ou un cheveu ) au coeur de l’édifice . Gérard ( déjà ) VAN WUYSTOFF reçu en 1641 par le roi VONGSA fût impressionné par l’énorme pyramide dont le sommet était couvert de feuilles d’or pesant mille livres. ». Dans la salle de classe de la bonzerie Gérard M . a du mal à assurer un cours élémentaire  alors qu’il émarge à l’indice 1720 dans le grand livre de l’ état!!

        

Nous prenons possession de notre hôtel, ancienne résidence princière, où nous attend notre premier repas lao.

Il y eut jadis à Luang Prabang une soixantaine de Vats ( monastères ). Il n’en reste que la moitié, des temples sans ostentations mais d’une gracieuse élégance se nichant parmi les palmiers et les bougainvilliers. C’est dire la tâche qui nous attend.

Nous démarrons l’après-midi avec le VAT SENE SOUKARAM couvert de tuiles rouges et jaunes à la thaïlandaise. Sa toiture  à trois pans semble vouloir harponner le firmament de leurs angles cornus. Leurs pointes acérées ont pour fonction d’empaler les mauvais esprits qui tombent du ciel. Au sommet des toits de fines clochettes fixées sur une corde comme des pinces à linge  tintannabulent à la moindre brise. Il s’agit de tenir les bons génies éveillés.

Puis nous rendons au VAT XIEN THONG le plus riche de tous les temples . Un véritable havre de paix dans la ville . Tout est délicatesse et raffinement dans les décors des différents édifices. Les toits pointus à pans multiples campent une invraisemblable composition architecturale et viennent presque lécher le sol tant ils descendent bas. Les virgules qui tendent leurs extrémités vers le ciel réussissent à alléger cette pesanteur. C’est le temple royal. Très bien entretenu parce qu’il fût, dès sa construction en 1540, patronné par le roi. On y découvre de très belles mosaïques dont un arbre de vie et des peintures murales.

Après le plus beau c’est au tour du plus ancien : le VAT VISOUN PARATH. Ses fenêtres à balustres rappellent Angkor et son stupa a une forme de lotus ( pastèque disent les mauvaises langues ).

Après tout ce spirituel nous plongeons dans le matériel : le marché central et le marché Hmong. Première épidémie de fièvre acheteuse ! La rue rejette comme une crue indigeste des parterres de pioches, de survêtements chinois, d’agrumes  jusqu’aux tables tapissées de billet de loterie . Derrière les balances à bascule les petites marchandes patientent chasse-mouches à la main .

Concert dînatoire à l’hôtel en l’honneur d’un mélomane de l’Outre-Forêt. Les craquètements d’oiseau des instruments à lames, le grondement des tambours à peau de buffle, le fracas de verre brisé des petites cymbales de cuivre et le crissement des cordes nous réjouissent l’âme et subjuguent Gérard M.

Nuit à l’Hôtel SOUVANNAPHOUM    

 

                                                                                                                                .
J  10                                     PAK  OU                                                                             11/11/2001

 

Pensée du jour :

«  Une voiture normale a deux  roues à l’avant, deux roues à l’arrière, deux roues à gauche et deux roues à droite.

Vous pouvez vérifier. »

 

Au petit matin la ville se réveille. On entend le froissement des balais de branchage sur les parvis des monastères. En longue file rouge-orange les bonzes à l’épaule nue déambulent au travers des quartiers selon un dessin immuable, quêtant dans un vase de cuivre l’obole en riz gluant des femmes agenouillées. Ils frôlent le sol sans aucun bruit et s’éloignent comme ils sont venus. Et comme les fidèles on est naturellement imprégné de cette atmosphère religieuse. Il est des cités que des siècles d’épreuves ont préservées des soubresauts du monde et où triomphe le rythme calme de la vie. Mais pour combien de temps encore? Le visiteur pressé n’a pas sa place ici. Toute précipitation serait un contresens. Il faut se laisser porter par la ville.

 

La sortie d’aujourd’hui doit nous mener au village de BAN XAN HAI, le village des jarres et aux grottes de PAK OU. 

Pour ce faire nous prenons un bateau pour remonter le Mékong ( le fameux fleuve en face du Laos ). Durant la navigation nous avons tout le temps pour admirer les potagers en terrasses taillées dans le limon déposé lors de la dernière mousson. Les un(e)s bavardent (toujours les mêmes ), les autres dorment (toujours les mêmes aussi ), d’autres enfin, bercé par la magie du fleuve, deviennent lyriques :

«  Se pencher sur le fleuve, qui est de temps et d’eau

Et penser que le temps à son tour est un fleuve

Puisque nous nous perdons comme se perd le fleuve

Et que passe un visage autant que passe l’eau . »

Avec tout cela nous voici rendu à BAN XAN HAI. Ici les bouillleurs de cru font fermenter le riz gluant dans de grandes jarres; ils obtiennent ainsi un vin doux, le LAO KHAM KHAM, qu’ils distillent pour faire le LAO LAO, alcool plus près du pétrole lampant que d’une bonne mirabelle. Les villageois profitent de notre arrêt pour vendre leur artisanat local.

Prochaine escale: les grottes de PAK OU creusées dans un relief karstique. C’est jurassique parc. Une fantasmagorie de centaines de bouddhas plantés là comme des stalagmites sacrées. En contrebas au confluent du Mékong  et du Nam,  quelques femmes orpaillent à la recherche d’une improbable fortune.

Après un sympathique pique-nique entre les deux grottes THAM TING et THAM PHUOM notre esquif nous ramène en ville où nous reprenons le bus pour BAN XIENG, un village de tisserands et de fabricants de papier. Toujours le matériel après le spirituel !

La vie du groupe s’organise. Au fond du bus ce ne sont que gaudrioles, calambours, billevesées et autres contrepèteries. Affligeant ! Rassures-toi Roger, tu ne seras pas dénoncé. Antoinette surveille toujours les geckos et autres rampants. Etonnant ! Marie-Brigitte entraîne des hommes mariés et grand-pères de surcroît pour leur montrer «   sa petite noix d’arec ». Choquant ! Les deux Jacqueline discutent chiffons. L’une prétendant que le sien est plus long et l’autre insinuant que le sien est moins court. Surréaliste !

  

Monter le soir au sommet du MONT PHOUSI, regarder les derniers rayons du soleil déclinant disparaître derrière les montagnes et contempler, en contrebas , la paisible agitation des temples, garder les yeux fixés sur le Mékong et le Palais Royal.

Dîner en ville au restaurant Park Houary Mixay. 

                                                 Nuit à l’Hôtel SOVANAPHOUM

 

J   11                            KUANSY                                                                                          12/11/2001

 Pensée du jour :

« Quand celui qui rigole le dernier a fini de rire, plus personne ne rigole . »

 

Ne pas se laisser impressionner par l’ascension des 328 marches du MONT PHOUSI, le « gros tas de riz » pour assister au lever du soleil. Le petit temple presque troglodyte, qui se trouve là-haut étonne : un rocher surplombe la statue de Bouddha et semble le protéger. En redescendant écouter dans le silence les psalmodies et les prières des bonzes. Se laisser bercer en passager clandestin du bouddhisme.

Mais il faut reprendre le bus pour les chutes de KUANGSY. Nous traversons des campagnes où la récolte du riz bat son plein. Betty sous prétexte de cueillir quelques épis s’éclipse dans les rizières avec KAH MOUN. Par égard pour notre camarade Gérard nous tirons un voile pudique sur cet incident.

Au bord du chemin les minorités KMU et HMONG s’activent dans les champs. Nous profitons du temps qui nous est alloué pour flâner dans les villages. De toute façon comme dit Betty : «  le bus nous suit à pied ».

Le 28 décembre 1912, Monsieur SARRAUT, gouverneur général de l’Indochine, en visite chez les HMONG rapporte : «  ...les femmes elles-mêmes étaient venues montrer leur jolis visages éveillés sous de larges turbans ... » Pour les remercier de cet empressement le Gouverneur envoya chercher un vieux phonographe dans ses bagages et régala lui-même ses hôtes avec le « Veuve joyeuse ».

                                                             ( L’Illustration 1913 )

Faut-il s’étonner que ce peuple soit resté éternellement rebelle et hostile à tout pouvoir centralisé ? Ils ont été chassés des collines où ils pratiquaient l’essartage et avaient donc des villages éphémères. Leurs maisons sont posées sur le sol avec des planches verticales. Dans leur pénombre le mobilier : un fourneau en argile  où s’encastre une marmite, une auge où les femmes mettent les ordures ménagères pour les cochons, une urne avec l’eau potable, le pilon de bois, le petit autel des génies dressé sur le sol de terre battue  et des alcôves avec des lits surélevés.

Chemin faisant, bus nous suivant, nous arrivons aux fameuses cascades de KUANG SY qui sont au Laos ce que celles du Nideck sont à l’Alsace. Il s’agit de belles chutes en cascades sur des formations calcaires dans lesquelles elles ont creusé de jolis bassins naturels de couleur turquoise. D’aucuns y ont vu croître des crocus d’eau de montagne » !!

Un sentier abrupt permet d’entrer dans la forêt et rejoindre  le sommet de la chute. Les arbres ont l’air d’avoir poussé en hâte droit, pour se disputer le ciel malgré les lianes qui les enchaînent. La forêt est un champ de bataille sur un le charnier. La branche qui pend ne porte pas seulement des épines mais aussi des fourmis rouges. En regardant de plus près une brindille ou une feuille morte on découvre deux insectes aux aguets car l’un a la forme d’une brindille, l’autre la rouille de la feuille séchée.

Nous pic niquons sur place puis reprenons notre promenade bucolique. Après les Hmongs nous nous arrêtons chez les NU dont nous n’avons pas vu le costume, non qu’ils ne fussent pas habillés, mais simplement parce que c’était l’heure de la sieste. En cours de route nous apprenons grâce à l’obligeance d’une paysanne l’art de faire les nouilles. Nous faisons encore un arrêt pour « acheter le souvenir » à BAN PHANOM, village de tisserand bien connu.

Le retour vers la capitale royale est un peu précipité car nous avons rendez-vous avec un coucher de soleil sur le Mont PHOUSI. C’est l’heure où le Mékong s’enflamme, où la lumière dorée éclabousse les temples enluminés de verroteries et de pierres semi-précieuses. Le regard ne sait plus où se poser, il voudrait embrasser tous les monastères à la fois mais leur nombre est trop grand et l’instant sublime qui précède la disparition du soleil est trop éphémère. Après l’exaltation vient un sentiment de paix . Alors le voyageur incrédule a envie de croire en Dieu.

     

Sur le chemin du retour, dans la pénombre des manguiers des femmes en sarong bordés d’or, des hommes tenant dans leurs bras des enfants aux yeux lourds sortent des maisons silencieuses et d’un pas tranquille prennent le chemin des pagodes .

Nous aussi nous allons faire nos dévotions à l’hôtel. 

Un groupe de villageois nous invite à la cérémonie du BACY, le rappel des âmes. En fait il s’agit de conserver ses 36 génies tutélaires qui ont une fâcheuse tendance à se disperser. Cette cérémonie se compose d’une prière récitée par le sage du village, d’offrandes que nous font les villageois, puis les femmes nous attachent des brins de coton  à chaque poignet. Suivent dégustation de fruits, de gâteau et libation à l’alcool de riz. Nathalie se fait remettre une magnifique tiare d’apsara en fleurs. Et tout cela se termine bien sûr en musique et danses.

          

Au Laos on danse pour le plaisir, on danse pour la pluie, on danse quand on est heureux.

                                                 Nuit à l’Hôtel SOUVANNAPHOUM

 

J  12                           LUANG PRADANG           -        XIENG KHOUANG                            13/11/2001

Pensée du jour :

« C’est ce qui divise les hommes qui multiplie les différents. »

 

Notre avion étant retardé cela nous laisse une matinée de plus à Luang Prabang. Il y a encore tant de choses à voir. A commencer par le palais royal et le Musée . Ce monument est le seul héritage monarchique de la ville. Mais ... surprise le fameux Bouddha d’or, exposé dans la première salle que l’on visite, brille de mille feux sous un lustre de cristal. Style français et laotien se mêlent sans cesse dans cette bâtisse. Ce palais est une illustration de l’histoire du Laos. Dans certaines pièces, comme la chambre de la reine, on se croirait dans un appartement français des années trente. Dans la salle du trône c’est le Laos qui s’épanouit : des murs rouges sur lesquels des éclats de miroirs teintés de toutes les couleurs forment une sorte de mosaïque naïve. On voit des scènes de bataille avec des personnages décapités dont on retrouve les têtes à leurs pieds. Une vraie B.D. pour enfants. Un seul regret, que ce palais ne soit pas plus vivant... mais la famille royale a été déportée, en 1975 à l’arrivée des communistes, dans une grotte du nord du pays, où l’on  a perdu leur trace !

A côté se trouve le VAT MAI, le nouveau monastère, qui est la résidence du patriarche suprême que le nouveau régime appelle le Président des moines .

Nous faisons encore un dernier tour au marché. Rien de neuf sur les étals mais on achète quand même, du moins certaines (toujours les mêmes). Partout des goguettes populaires où les cantinières servent la soupe aux nouilles de riz, le bouillon gras mêlé de cheveux d’anges, les raviolis, les gâteaux , les boulettes de poulet grillé, les petites bananes grillées et les sandwichs au pain français. 

        

Mais c’est là en s’enfonçant dans le dédale des ruelles en terre battue que l’on rencontre les Laotiens . On y découvre leur vie au quotidien. Un homme sculpte sur sa terrasse à petits coups saccadés les montants d’une porte de bois. 

A côté une femme mâchant du Béthel, le fixe d’un regard perdu. On entend le pilon tomber en rythme sur la papaye râpée qui sert à confectionner la fameuse salade de papaye verte laotienne. 

Les enfants transforment des feuilles en bateaux et les font naviguer sur des flaques. D’autres jouent au KATAN, un sport qui peut être très acrobatique puisqu’il s’agit de renvoyer une balle en osier, sans se servir de ses mains ni de ses mains : chevilles, tronc, genoux et tête uniquement. Sur les toits, des forêts d’antennes paraboliques. Les cris aigus des actrices des séries locales se font entendre et se mêlent aux bruits des moteurs  des touks touks. 

Dans cette ancienne capitale royale ils ont une élégance toute particulière. Le passager est assis sur un siège comme sur un trône. Il est face à tous et à son côté se trouve son chauffeur à califourchon sur sa moto. 

En regardant les attributs des femmes ( je vois déjà le sourire gras de certains ) on entrevoit la diversité des tissages du pays. Les fils de coton et de soie se frôlent sans jamais se mélanger, les formes se dessinent sans jamais se ressembler. Les métiers à tisser travaillent encore et toujours au Laos. Les brodeuses s’activent au foyer et au bord des chemins. Derrière chaque losange, chaque couleur se cache aussi une histoire, un peuple, une ethnie, une langue, une architecture, un système agraire, une pratique religieuse, l’essence même de la différence.

Luang Prabang fait partie de ces lieux qui ne se visitent pas mais qui vous visitent. Le visiteur ne décide pas de son rythme c’est elle qui lui impose. Nous y prenons un dernier déjeuner avant de nous rendre à l’aéroport où nous attend un magnifique Illiouchine 100c. 

 

Cet appareil a été cédé d’occasion aux chinois qui l’ont oublié au Vietnam et de là il a passé au Laos avec un lot de ferraille. A l’intérieur il se dégage une curieuse fumée et il y pleut par endroit. Heureusement le revêtement interne de cet appareil est en formica massif donc facile à éponger. Yves en profite pour serrer très fort les mains d’Isabelle tout en serrant une partie de sa propre anatomie. 

Pour nous rassurer le pilote survole un paysage lunaire criblé d’impacts de bombes et finalement se pose sur un aéroport du bout du monde rappelant les grandes heures de l’aéropostale.

Il fait froid ! Le franc sourire et les yeux pétillants de BOUNKONG, notre guide local, arrivent à peine à réchauffer l’atmosphère. Nous sommes accueillis à la chandelle car l’électricité n’est allouée que de 18h à 23h.

Nous allons dîner en ville dans un restaurant sans carreaux car le verre est trop cher dans cette contrée. La bise souffle de plus en plus fort et comme s’il n’y avait pas  assez de vent Gérard M. contrepet !

                                                             Nuit à l’Hôtel MALY

 

J  13                           XIEN KHOUANG                                                                           14/11/2001

Pensée du jour :

«  Si rien n’est mois sûr que l’incertain, rien n’est plus certain que ce qui est sûr . »

 

Nous sommes réveillés par le bruit de la pluie sur les toits de tôle. Cela nous rappelle que nous sommes dans la ville la plus bombardée de l’histoire. C’est aussi une ville sans charmes. Comme à Verdun les vestiges de la guerre sont omniprésents : cratères, fûts de bombe reconvertis en objets en utilitaires  ou de décoration comme dans la salle à manger de notre hôtel.

   

Nous prenons un bus antédiluvien sous des trombes d’eau pour voir la fameuse PLAINE DES JARRES  à propos de laquelle les hypothèses les plus farfelues circulaient jusqu’à ce jour . Il s’agit d’immenses urnes ( ?) pesant de 600kg à une tonne pouvant aller jusqu’à 2,5m de hauteur pour les plus grandes avec un diamètre de un mètre, réparties sur plusieurs sites.

Leur origine, leur destination ( alcool de riz, grains, urne funéraire, grenier...) et l’identité de leurs premiers propriétaires restent inconnues.

Mystères et spéculations.

On trouve aussi sur les sites des couvercles qui n’en sont pas et qui seraient des pierres tombales. Il va de soi que dans le groupe plusieurs nouvelles théories ont vu le jour aux côtés desquelles la révolution copernicienne est une vaste plaisanterie.

Comme il pleut durant toutes les visites nous formons une procession très colorée réunissant plusieurs ethnies: les parapluies bleus,  jaunes ou noirs et une autre beaucoup plus exotique les coca-cola rouges.

Entre chaque site, Bounkong, nous distrait en nous parlant de lui, des différentes ethnies et de la philosophie lao. Ce brave garçon a fait l’école normale mais  a renoncé à l’enseignement pour faire « un peu de tout comme le canard : marcher un peu, voler un peu, nager un peu... » . Espérons pour lui qu’il ne vienne pas de Cholon (ceci pour les anciens d’Indochine).

Exemples de questions « philosophiques » laos :

a) Qu’est ce qui est plus chaud que le feu?

b) Plus transparent que le verre ?

c) Mange les hommes et n’a pas de dents ?

                                      Réponses :    a) la passion

                                                           b) la pensée

                                                           c) le souvenir

                                                           d) le temps

Toutes ces digressions nous ayant creusées nous arrêtons au restaurant SANGHA (absent du Michelin 2001) avant de visiter le troisième site du jour. Les théories continuent de fuser mais aucune n’emporte la palme.

Bounkong nous explique les Hmong . Cette ethnie se subdivise en trois sous-groupes :

- les bleus dont les femmes ont des jupes tricolores

- les blancs en raison des jupes blanches de leurs épouses

- les noirs tout de noir vêtus

D’après Roger qui se dissipe au fond du bus, en France il n’y aurait qu’un groupe : les Hmong blancs ( Mont blanc pour ceux qui ne lisent Vermot dans le texte ) .

Les Hmongs ont des spécialités culinaires qui ne passent inaperçues . Un exemple: ils raffolent de boudin et de cervelles de porc crues, consommées avec de l’ail, des petits oignons et des piments. Nourrissant: les larves d’insectes trouvées dans les souches des arbres et consommées sur le champ. Franchement dur : la panse de buffle avec son contenu qui donne une soupe verdâtre très appréciée.

Pour avoir un aperçu plus réaliste nous allons au marché populaire de PHONSAVAN. 

   Notre arrivée déclenche l’hilarité générale des autochtones car un coup de vent sournois retourne les parapluies de Patrick et de votre serviteur. 

Nous voyageons dans le chaos de couleurs opulentes de la nourriture extrême-orientale. Le hasard des arrangements est parfois si heureux qu’il semble avoir été réglé par un peintre subtil : piment rutilant vert incisif ou violet carmin, ananas bronze doré, fleur de bananes garance, nœuds de gingembre, haricots germés, écheveaux de vermicelle...

Et juste à côté le musée des horreurs : étals regorgeant pêle-mêle de crapauds, chauve-souris, renards , blaireaux, hirondelles et autres morceaux de chairs sanguinolentes. Des marchandes installées à même le sol proposent des poissons-chat séquestrés dans de petites bassines aux couleurs vives. Leurs barbillons frémissent d’indignation d’être ainsi traités.

       

Bon appétit !!

C’est transis et frigorifiés que nous dînons chez notre guide dont l’épouse Hmong et avisée tient un restaurant . Grâce à des rasades d’alcool de riz la température remonte un peu. Le défilé des filles de la maison en costumes traditionnels chauffe définitivement la salle.

                                                             Nuit à l’Hôtel MALY

   J   14          XIENG  KHUANG         -    VENTIANE                           15/11/2001

Pensée du jour :

« Se rendre compte qu’on est un imbécile est  un signe d’intelligence »                                                                                                                                                                                                                                                                              

Nous quittons le plateau de Xien Khuang gelés par un vent du nord venant de Chine. Nous attendons l’avion comme une délivrance. Nous abandonnons donc la Sibérie laotienne pour retourner à Wattay le minuscule aéroport de Ventiane en pleine rénovation. Il semble tout droit d’un album de Tintin. Tout le reste aussi d’ailleurs. Les voitures d’époque qu’il faut pousser pour les mettre en marche, les panneaux décoratifs d’un pieux réalisme socialiste. Ici nous attend Kah Moun . Nous revoilà donc à VIEN CHAN qui en laotien signifie la « cité du santal ». Cette capitale lilliputienne aux allures de sous-préfecture débonnaire est une juxtaposition de villages de bambous autour d’un centre où bâtiments coloniaux et tristes HLM soviétiques abritent côte à côte l’administration du pays, les représentations étrangères et l’amorce d’un capitalisme. S’y ajoutent quelques belles pagodes plus ciselées que des boites à bijoux, un grand stupa blanc piqué de l’étoile communiste, dédié aux morts de la révolution ; des boutiques, une poignée d’hôtels et même quelques dancings.

Sur les larges avenues poussiéreuses et sans trottoirs, camions à plateaux, 4x4, mobylettes, cyclo-pousses, «  touk-touks » se croisent . Rien que de très ordinaire diront les pisse-vinaigre revenus de tout sans être aller nulle part. Rien sauf peut-être l’indicible, la douceur de l’air et l’indolence ambiante. On est à mille lieux de la vibrionnante agitation des autres métropoles de la région.

Nous nous arrêtons près du Palais Présidentiel où nous laissons attirer par le charme discret et original de VAT SISAKET, le seul temple qui ait échappé au saccage de la ville par les vietnamiens. Le cloître qui abrite des centaines et des centaines de bouddhas de différentes tailles en bois, en céramique, en bronze, en terre, en pierre ou en argent . Alignés dans leurs niches ce sont eux qui nous contemplent avec leur éternelle sérénité. Une découverte magique !

       

Il nous faut traverser la rue à pieds pour visiter le VAT PHRA KEO, le  monastère palais du bouddha d’émeraude, qui est avant tout un musée d’art religieux permettant de se familiariser avec les différentes attitudes de Bouddha (voir vos manuels ). Le tout est assez hétéroclite.

Autre site visité  : le THAT LUANG, un grand stupa doré qui ressemble plus à une pâtisserie qu’à un édifice religieux . Un endroit sans vie et sans âme. Décevant.

Kah Moun en bon patriote ne peut s’empêcher de nous faire admirer PAT UXAY, la porte de la victoire, l’arc de triomphe local qui ressemble à une grosse enclume.

Nous déjeunons dans une ancienne maison coloniale transformée en restaurant : le KUALO.

L’après-midi est consacré au Marché du matin ce qui est d’une logique implacable. Il s’agit de grandes bâtisses aux toits verts dans lesquelles on peut acheter de tout et même des objets au-delà du réel .

    Avant de dîner nous intronisons les nouveaux venus dans le groupe. Cérémonie émouvante et arrosée.

Certains terminent la soirée par une promenade le long des berges du Mékong . Il y a des guinguettes qui vendent du lap  et de la laobeer, des tables et des chaises en plastique posées de guingois, un couple d’amoureux immobile sur un banc, le regard perdu sur la ligne d’horizon, c’est à dire l’autre rive où scintillent les mille feux de la tapageuse Thaïlande. Il nous semble entendre, troublant cette nuit sereine une voix de stentor chanter Constantin au fond d’un bouge. Mirage de l’extrême-orient.

                                                             Nuit au NOVOTEL

J  15                             VENTIANE       -     HANOÏ     -   DUBAÏ               16/11/2001

Pensée du jour :

« Il m’arrive de douter de tout

et je ne suis pas toujours certain d’être sûr de douter »  

Ils nous ont dit : matinée libre. Donc le groupe opère en ordre dispersé dans les rues de Ventiane. Il y a encore des achats à faire. Certains néanmoins restent à l’hôtel pour se refaire une santé en faisant la grasse matinée ou en allant au fitness ( chacun sa méthode; de toutes façons cela ne nous regarde pas !).

Nous prenons un dernier repas lao avant d’entreprendre le long périple du retour. Le petit Mercier Gérard qui suivait son étoile s’est perdu dans l’aéroport de Ventiane. Heureusement sa Maman lui avait accroché un carton avec son nom et son adresse ce qui nous permet de le récupérer et de le réintégrer dans le groupe.

LA  KON*, paisible Laos les farrangs prennent le chemin du retour.

Première escale à Hanoï dans un aéroport aseptisé où nous sommes seuls. De plus il n’y a pas de boutiques ouvertes. Dur !!

Vols sans histoires.                                                                 

* au revoir en lao

J  16                                   DUBAÏ           -       PARIS                          17/11/2001

                                               Pensée du jour :  

« En somme le tourisme,  comme quête de sens, 

avec les sociabilités ludiques qu’il favorise, 

les images qu’il génère, est un dispositif d’appréhension graduée, 

codée et non traumatisante de l’extérieur et de l’altérité. »

 

A l’escale de Dubaï certaines trouvent encore les ressources morales et financières pour les derniers achats ( rien n’est moins sûr ).

Après le groupe tombe dans un état semi-végétatif : manger, dormir.

A l’arrivée à Paris les gens de « l’intérieur » nous quittent et le reste du groupe se disloque à Strasbourg.

«  Oui, cela existe, j’y suis allé, je l’ai vu,

Oui , je l’ai vu , cela existe, cela n’est pas seulement quelque rêve,

Oui,  j’y suis allé,  je l’ai même déjà raconté,

Oui, cela a existé, cela a été construit pierre par pierre, cela  a été enfoui dans la forêt,

Oui, cela a été retrouvé, exploré, débroussaillé,

Oui,  je le vois et je ne cesserai de le voir,

Oui je vois ces visages et au-delà d’autres visages et au-dessus un autre visage en larmes.

Ne pleure plus la Lumière éclaire de nouveau ton pays.

                  à Chhorvivoinn.

 

Visiter le Cambodge c’est faire connaissance avec un pays attachant et fascinant où tout est à reconstruire des extraordinaires vestiges du passé au quotidien des Khmers qui émergent d’un cauchemar. Nous aimerions pouvoir dire qu’ils sont définitivement débarrassés des derniers soubresauts de violence mais seul l’avenir nous le dira. Ils ont en tout cas retrouvé le sourire et nous ont accueillis avec beaucoup de gentillesse. Quant aux temples et palais khmers, malgré les pillages et les saccages, ils se classent toujours sans contexte parmi les plus belles richesses artistiques du monde.

Les nouveaux riches habitent les bourgades et manipulent la véritable monnaie du pays : le dollar. Les petites gens se contentent des miettes de la manne touristique et manient des riels crasseux. Les campagnes restent plongées dans les oubliettes du temps. A la saison des pluies les routes se transforment en fondrières. Le temps s’y est arrêté.

Mais en ville l’air conditionné rafraîchit les chambres et les téléphones portables atteignent en quelques secondes mais à prix d’or les confins de la terre. Ici la vie se réorganise. Angkor maintenant se visite et sa visite n’est plus une aventure. Mais la civilisation khmère reste difficile d’accès car mal connue. Certaines cours entourées de galeries peuvent faire penser à des cloîtres occidentaux, certains frontons sculptés à quelques délires baroques, certaines sculptures  à des chefs-d’œuvre antiques. Le mystère demeure car les hommes qui ont défriché les forêts, maîtrisé les eaux et construit ces merveilleuses villes de pierre ont disparus.

Restent les Khmers. Avec un regard étrange et profond, un regard qui ne sait plus et qui a trop vu, un regard qui vous interpelle et vous interroge, un regard qui ne vous quitte plus et qui espère. Il vous sourit comme il a vu les statues de ses ancêtres le faire. Il porte son âme au bout des yeux et vous l’offre.

Voilà ce que j’y ai vu.

Voilà le regard du peuple Khmer.

Le voyage au Laos nous a entraîné au cœur d’une extraordinaire mosaïque ethnique aux traditions bien vivantes, forte de costumes, langues et coutumes variés et nous a fait découvrir le charme d’antan de l’Indochine. C’est le pays du tout sourire, le pays de la nonchalance au quotidien, de la confiance, de la tolérance et de la patience. Les laotiens ont l’art du farniente et un proverbe résume bien la situation :   

«  le Viet plante le riz, 

le Khmer le regarde pousser, 

le Lao l’écoute s’épanouir ».

Montagnes à jungles et plaines à riz, tuiles multicolores et cités raffinées, le parfum des colonies te la magie du Mékong.

D’un voyage au Laos restent la quiétude et la douceur, la sensation d’avoir touché du bout du doigt l’harmonie, d’avoir le présent qui coure ailleurs, d’avoir effleuré une nature où l’homme se confond avec la végétation, tant il cherche à se lier à elle éternellement. Cette sage indolence, cet attachement aux valeurs d Bouddha, leur fameux « Bo pen naing », le philosophie du rien n’est grave résisteront-elles encore longtemps à l’invasion économique ?

 

Ce voyage est terminé, d’autres se profilent.

Merci à chacune et chacun d’entre vous  pour votre contribution à sa réussite.

Merci encore et toujours à Nath et Gérard nos chevilles ouvrières.

A bientôt sur d’autres lignes.

En attendant, plein de bonheurs à vous tous.

                                      Maurice